Maria Agresta dans la Traviata à la Royal Opera House, Covent Garden

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La Traviata de Giuseppe Verdi, composée en 1893, est sans doute l’un des opéras les plus fréquemment joués dans le monde aujourd’hui. Basé sur la pièce d’Alexandre Dumas, La Dame aux camélias, l’œuvre retrace l’histoire de Violetta Valéry, courtisane parisienne de renom. On en connait la trame : sous des allures sans-gêne, Violetta est atteinte de tuberculose, et son monde bascule quand elle rencontre Alfredo, dont elle tombe amoureuse. Les deux amants fuient ensemble et vivent sur la vente de ses biens, jusqu’à ce que le père d’Alfredo, Giorgio Germont, fasse irruption dans leur vie et la supplie de quitter son fils. Du fait du comportement d’Alfredo, sa famille est tombée en disgrâce, et le père Germont rencontre toutes les peines du monde à marier sa fille, l’empêchant ainsi de vivre heureuse. Bien que profondément éprise d’Alfredo, Violetta compatit à l’égard de la famille Germont et cède.
Alfredo ignore la vraie raison du départ soudain de Violetta, mais finit par la découvrir lorsqu’il confronte Violetta, furieux, au cours d’une fête organisée par son amie Flora. Si le père Germont regrettera finalement d’avoir séparé les deux amants, il est désormais trop tard : bien que réconciliés, la maladie emporte Violetta qui meurt dans les bras d’Alfredo.

Il y a beaucoup à dire sur la dimension autobiographique de cette œuvre de Verdi, puisqu’à la fin des années 1840, il faisait lui-même l’objet de jugements moraux pour vivre avec la soprano Giuseppina Strepponi, sans qu’ils soient unis par le mariage (ils finirent par se marier en 1859). Dès lors, lorsque le chœur condamne Alfredo pour son comportement envers Violetta à la fête de Flora, il est tentant de penser que le compositeur cherche à rallier le spectateur à son parti.

C’est là la treizième reprise de la production de 1994 de Richard Eyre pour la Royal Opera House, et elle donne à voir de nombreuses subtilités entre les murs incurvés de son décor. Le décorateur Bob Crowley travaille virtuellement chaque scène dans un cadre semi-circulaire, et pour chacune, emploie différents outils et techniques d’éclairage, ceci afin de servir le récit et l’action.

L’acte I se déroule dans un intérieur somptueux au style art-déco, dépeignant le personnage de Violetta comme l’archétype d’une fashionista parisienne. Le détail le plus important ici demeure les portes : dès qu’elles sont ouvertes et susceptibles de laisser entrer quelqu’un, Violetta revêt sa personnalité sociable et frivole. Dès qu’elles se ferment, elle redevient un personnage bien plus introverti. La fin de l’Ouverture la voit ainsi assise et pensante sur un côté, et c’est seulement lorsque l’acte I commence et que les portes s’ouvrent qu’elle change de comportement. Elles s’ouvrent et se referment de nouveau lorsqu’elle se succède la Violetta contemplative de « Ah fors’è lui » à la sans-gêne du « Sempre libera degg’io », dans lequel elle réaffirme son vœu de vivre et d’apprécier pleinement sa vie parisienne. Tous les décors sont cependant structurés pour ne pas assoir parfaitement la division entre l’espace privé et public, suggérant ainsi que Violetta ne peut jamais vraiment échapper aux regards indiscrets de la société.

De même, la fête organisée par Flora à l’acte II prend place sous le plafond orné d’un palace, fastueux et dorés, agencé de façon bien particulière : nous découvre ici une arène rouge et une table de casino surmontée d’une lampe en métal. L’espace ne doit pas sans doute pas être appréhendé au premier degré, l’arène faisant clairement référence à celles plus antiques, dans laquelle l’ami d’Alfredo, Gaston, s’amuse à jouer les matadors avec ses compagnons, et crée ainsi un contexte propice à l’action dont émane déjà le sentiment d’un combat de gladiateurs. En outre, l’association de cette table et de cette lampe résolument plus modernes sous le plafond du palace, suggère que le jeu que nous voyons sur scène s’inscrit dans une histoire bien plus vaste de richesse et de décadence à Paris.

La production débutait en janvier, mais cette reprise au mois de mars est marquée par une nouvelle distribution, accompagnée d’un nouveau metteur en scène (Rodula Gaitanou).  La sensationnelle Maria Agresta incarne Violetta (avant que Nicole Cabell ne prenne sa place pour les deux dernières représentations). Elle possède une voix somptueuse et puissante, qui, aussi belle que précise et nuancée, chante les phrasés les plus difficiles avec un talent et une expressivité incomparable. Sa présence est telle qu’elle lui permet d’apporter le plus grand des contrastes entre « Ah fors’è lui » et « Sempre libera degg’io », tandis qu’elle dévoile également toute sa sensibilité lors de l’aria de l’acte III « Addio, del passato ».

Si l’on s’attache aux bémols, Maria Agresta a tendance à faire de l’ombre à Piero Pretti dans le rôle d’Alfredo à l’acte I, et l’alchimie émanant du couple n’est pas aussi enthousiasmante qu’elle pourrait l’être. Le ténor de Pretti est très plaisant dès le début, mais manque de volume et d’éclat. Néanmoins, ses quelques défauts se font vite oublier lors de sa merveilleuse performance de l’acte II, dans les airs « De’ miei bollenti spiriti » et « Oh mio rimorso ! », tandis que Quinn Kelsey et sa voix de baryton sûre et puissante délivrent un Germont parfait (Tassis Christoyannis prendra sa place pour les deux dernières dates). Il fait ressentir au spectateur que les valeurs auxquelles il est attaché et que les attitudes qu’il adopte découlent davantage de l’impact de la société que d’une quelconque insensibilité personnelle. Contrairement à d’autres Germont qui supplient Violetta de quitter Alfredo avec beaucoup d’affirmation, il ne se départit pas d’un air détaché, soulignant sa conviction que s’il utilise les mots justes pour persuader Violetta, elle finira par céder. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il sous-estime l’importance du sacrifice, et son propre ressentiment transparait clairement dans son jeu.

Nicola Luisotti, qui dirige aussi Il trittico à la Royal Opera House, apporte un excellent équilibre et beaucoup de sensibilité à l’ouvrage, tandis que parmi les rôles plus mineurs, Sarah Castle en tant que Flora, Yuriy Yurchuck en Baron Douphol, Jeremy White en Marquis d’Obigny et Gaynor Keeble dans le rôle d’Annina ne sont pas en reste. La seconde scène de l’acte II voit tous les personnages principaux exceller, tout comme à l’acte III qui présente de beaux chants d’ensemble. Si la performance d’Agresta domine sur la soirée, la seconde partie de l’opéra, grâce notamment à la puissance de l’ensemble de la distribution en tant qu’un tout, la place simplement comme la première parmi ses égaux.

traduction libre de la chronique de Sam Smith

La Traviata à la Royal Opera House - du 1er au 19 mars

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