Król Roger à la Royal Opera House, Covent Garden

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Signé par le compositeur polonais Karol Szymanowski, Król Roger (le Roi Roger) est à bien des égards une rareté lyrique. Ecrit entre 1918 et 1924, et donné à peine quelques fois jusqu’en 1949, l’œuvre a ensuite été totalement négligée au cours des vingt-six années suivantes. Elle a certes connu quelques renaissances éparses depuis 1975, notamment lorsque le chef Charles Mackerras en a dirigé une reprise avec la New Opera Company à Londres, mais la production de Kasper Holten en marque la première représentation donnée à la Royal Opera House.

Król Roger raconte l’histoire du Roi Roger II de Sicile dont les convictions religieuses, et par extension l’étendue des pouvoirs, sont mises à l’épreuve par un humble Berger qui entend gagner la population à sa propre philosophie. Roger reste néanmoins ferme dans sa foi chrétienne, même lorsque son épouse Roxana et son peuple se convertissent tous aux convictions hédonistes et de vie facile prêchées par le Berger.

Cette idée voulant que le christianisme s’impose comme le juste et le vrai, par opposition aux tentations d’une vie facile, sert de trame à plusieurs opéras – que ce soit Poliuto ou Les Martyrs de Donizetti, ou encore Alzira de Verdi. Król Roger s’en démarque néanmoins à plus d’un titre. Ce n’est que tardivement dans le processus de composition que Szymanowski et son librettiste Jaroslaw Iwaszkiewicz décidèrent de voir Roger résister à la conversion, et structurellement, l’œuvre reste intéressante. Avec ses trois actes de trente minutes, décrits respectivement comme byzantin, oriental et hellénique, les thèmes et la musique de l’opéra embarquent le public dans un voyage résolument varié. Par exemple, la soirée débute de façon stupéfiante par une série de psalmodies inspirée des traditions orthodoxes.

Dans la production de Holten, l’époque originale (le XIIème siècle) est sacrifiée au profit d’un drame largement inspiré du XXème siècle. La scène est surmontée d’une vaste structure rappelant une arène pouvant évoquer les contours d’un ancien colisée, l’intérieur d’une église byzantine ou l’auditorium d’une salle d’opéra. Dans cet univers trône une tête gigantesque qui, bien qu’inanimée, semble perpétuellement en mesure de refléter des émotions au gré de diverses projections et jeux de lumière. À diverses occasions, elle arbore des tons monochromes, alors qu’à d’autres ses lèvres, ses yeux ou sa bouche semblent soulignés de couleurs. Et quand des teintes orange volcaniques apparaissent sur son front, le public semble alors en mesure de « dévisager » l’âme et l’esprit du visage gigantesque, tout en se laissant guider par les jeux d’ombre et de lumière (en forme de flèches) du fond de scène.

Dans l’acte II, la tête pivote sur elle-même permettant d’en découvrir l’intérieur, et d’apercevoir un « cerveau » divisé en une série d’étages reliés les uns aux autres par des escaliers. Les livres de cet éspace évoquent la connaissance, illuminée par un double foyer de lumière dans les yeux. À certain égard, la tête pourrait apparaitre comme une métaphore de la religion elle-même. De face, elle affiche une beauté idéale qui ne semble pouvoir provenir que d’un royaume éthéré. Mais au-delà de l’apparence de façade se trouve un esprit au travail (symbolisé ici par le gouvernement du roi Roger) qui doit consacrer à la fois du temps et de l’énergie pour renvoyer une telle image.

Bien que la production soit ici très largement une réussite, la danse extatique de l’acte II dans lequel le Berger se fait tentateur de Roxana et du peuple s’avère moins efficace qu’il ne pourrait. Les danseurs, ici encapuchonnés et d’apparence repoussante, semblent peu à même de séduire la population. Le Berger chante qu’il refuse d’être l’esclave du roi, et sans doute représentent-ils aussi les vassaux en rebellions. Et c’est là un exemple significatif : comprendre une idée n’est pas tout, encore faut-il pouvoir la ressentir en son for.

Le court troisième acte ne profite pas d’un clair intermède le séparant des deux autres. Compte tenu de la logistique de la mise en scène, peut-être a-t-il été impossible de donner l'opéra sans pause, mais ainsi présenté l'acte III suscite un sentiment de légèreté et la fin de soirée peut sembler un peu inconsistante. Sentiment renforcé par le fait que la même arène sert de cadre à l’action tout au long de la représentation. Même si traditionnellement, c’est ce troisième acte qui a pour cadre un théâtre grec, l'absence de changement de décor tend à gommer le sentiment de progression de la trame du début à la fin. Ces difficultés sont néanmoins largement compensées par la performance exceptionnelle de Mariusz Kwiecień dans le rôle-titre, dont la voix de baryton est aussi douce que précise et puissante. Le soir de la première, le public a été averti qu’il se sentait mal en point. Mais pas un instant, sa prestation ne l’a laissé supposer.

Saimir Pirgu, dans le rôle du Berger, a manifestement eu besoin d’un certain temps pour chauffer sa voix, donnant lieu à quelques passages plus compliqués et semblant moins intenses. Mais dans l’ensemble, il offrait ce soir-là une excellente prestation révélant une voix de ténor pouvant être tantôt extrêmement lumineuse, tantôt incroyablement puissante au sommet de son registre. Saimir Pirgu, qu’on a déjà entendu dans le rôle du Duc de Mantoue dans Rigoletto à la Royal Opera House en septembre dernier, est encore relativement jeune à 33 ans et à l’entendre, on a le sentiment qu’il pourrait se classer parmi les grands ténors mondiaux.

Durant cette soirée, Georgia Jarman proposait le plus beau son à la fois fascinant et spirituel dans le rôle de Roxana. Kim Begley faisait un solide Edrisi, le loyal conseiller de Roger, alors que la direction d’Antonio Pappano, le directeur musical de la Royal Opera House, était à la fois précise et concentrée.

Les chances de découvrir Krol Roger, qui plus est en version scénique, sont particulièrement rares. Au regard de l’envergure du plateau vocal ici réuni et des nombreux mérites de la production d’Holten, la présente opportunité offerte par la Royal Opera House devrait être saisie à tout prix.

traduction libre de la chronique de Sam Smith

Król Roger | 1er au 19 mai 2015 | Royal Opera House, Covent Garden

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