Falstaff à la Royal Opera House de Londres

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Falstaff, le dernier opéra de Verdi, fut présenté pour la première fois en 1893, à l’aube du quatre-vingtième anniversaire du compositeur. A l’exception d l’infortuné Un giorno di regno, c’est la seule comédie qu’il ait jamais écrite, et son comique évident ne doit pas faire ombrage ni à la partition, ni à l’intelligence de l’œuvre.

Il faut presque davantage de talent pour écrire un opéra qui maintient un tel rythme narratif de bout en bout, où le texte récité et les airs chantés finissent par fusionner, que pour écrire la plupart des plus fameux airs classiques. Par exemple, quand Verdi piège le spectateur lors de l’acte III en lui faisant croire qu’il va entendre un duo d’amoureux, pour qu’il soit alors interrompu par la fuite de ces derniers, il fait preuve de beaucoup d’esprit et montre une fois encore son très grand talent de composition à travers une blague réussie.

Basé sur The Merry Wives of Windsor de Shakespeare, l’action présente Sir John Falstaff qui tente de séduire Alice Ford et Meg Page alors qu’il n’a plus un sou. Ces deux dernières découvrent qu’il les désire toutes les deux, et décident donc de lui donner une leçon. Parallèlement, le mari de Meg Page, Ford, tente aussi de leurrer Falstaff de son côté, pendant que sa fille Nannetta, amoureuse du jeune Fenton, essaie de fuir le mariage auquel elle est promise avec le vieux Docteur Caius. L’intrigue atteint son paroxysme à minuit dans le parc de Windsor quand Falstaff est manifestement assailli par la Reine des fées, des lutins et des esprits – en réalité Nannetta et ses partisans, déguisés ! L’histoire, pour autant, connait une fin heureuse quand Falstaff reconnait avoir été dupé, que Ford accepte le mariage de Nannetta avec Fenton et que le Chevalier déclare haut et fort que le monde n’est que folie, et que tout n’est que farce.

Le but de Verdi et de son librettiste Arrigo Boito était de transformer cette histoire anglaise pour qu'elle plaise tant au public britannique qu'italien. Et c'est ce que Robert Carsen réussi à faire dans sa production reprise ce mois-ci à la Royal Opera House, où elle fut initialement présentée en 2012, en plaçant l'action dans les années 1950. De nombreux metteurs en scène semblent apprécier cette époque et y transposent l'oeuvre, puisqu'elle est à la fois relativement moderne tout en étant suffisamment proche des hiérarchies sociales de l'époque shakespearienne. Pour Carsen, c'est aussi une ère de transition et l'avènement du « nouvel âge élisabéthain ». Dans les décors de Paul Steinberg, qui consistent en un luxueux ensemble de lambris en noyer, on retrouve évidemment un style très britannique, mais qui nous rappelle aussi parfois le style italien du milieu du siècle dernier.

Ambrogio Maestri, très expérimenté dans le rôle de Falstaff (qu'il incarnait déjà ici-même en 2012), est sensationnel dans le rôle-titre. Il n'est pas immédiatement l'attachant brigand, puisque d’abord vêtu d'un caleçon-long sale lui donnant une allure sévère et graveleuse. Il restitue néanmoins parfaitement l'essentiel du caractère qui fait l’essence du personnage de Falstaff, s'acceptant et se complaisant totalement dans sa réputation de coureur de jupons, et autoproclamant sa propre pensée comme un cadeau au monde.

Maestri est doté d'une voix immensément puissante, toujours très juste, qui lui permet de s’autoriser ponctuellement des incartades de falsetto et autres grincements tout en maintenant l'ensemble de sa performance vocale à un haut niveau. Il respire et transpire tout ce que doit être Falstaff. De prime abord, ses acolytes doivent faire face à la colère du Dr Caius dont ils ont volé les biens, mais Falstaff les tient tellement à la bonne, qu'il n'a même pas à sortir de son lit pour régler le problème. Et lors de la fameuse scène finale, Maestri semble presque s'adresser individuellement à chaque membre du public personnellement, transformant momentanément le vaste opéra londonien en un cadre des plus intimistes.

Si personne ne peut rivaliser avec Maestri en termes de puissance vocale brute, ça importe peu ici tant l’opéra de Verdi repose avant tout un savant ensemble de personnages. Et si celui de Falstaff est l’une des composantes de cet ensemble, il est aussi un homme seul contre le monde, ce qui par définition, lui permet de prendre plus de place que quiconque autour de lui. Agnes Zwierko est une Mistress Quickly magnifique, sa voix vibrante de mezzo-soprano accompagne son jeu de scène, comme lorsqu'elle entrecroise ses jambes sensuellement dans une révérence ou entreprend de nourrir Falstaff à la main. Anna Devin et Luis Gomes dévoilent de beaux atours vocaux en tant que Nannetta et Fenton. Ainhoa Arteta est une soprano brillante à l'excellente diction dans le rôle d'Alice, alors que Roland Wood possède une aptitude toute particulière à apporter une jolie touche d'humour au personnage de Ford. Kai Rüütel et Peter Hoare sont particulièrement bons, respectivement dans les rôles de Meg et du Dr Caius. Le timing comique apporté par les acolytes de Falstaff, interprétés par Alasdair Elliott et Lukas Jakobski, est impeccable. Et sur le pupitre, Michael Schønwandt maintient fermement l'orchestre à chaque note de la partition.

La mise-en-scène est très dynamique, autant composée de faits subtils que d'autres simplement hilarants. Lorsque le quartet de personnages féminins commence à surpasser l'ambiance sonore de l'auberge avec leurs chants, les autres clients attablés non loin déménagent leur table. La scène de la chasse pour trouver Falstaff à travers la maison de Ford voit le chœur littéralement ravager la cuisine, qui s’engage dans une « mission-commando » jusqu'à ce que la scène atteigne son point culminant. Lors de l'acte III, le public rit déjà avant même que le rideau ne soit totalement levé et laisse entrevoir un Falstaff détrempé, couché sur un tas de foin, alors que le (vrai) cheval Louis tente d’en grignoter sa part.

D'un certain point de vue, l'acte III pourrait paraitre plus faible, mais l'humour réside essentiellement dans le fait de voir Falstaff forcé de monter et descendre d'une table entourée de personnes portant d'immenses bois de cerf ! De même, on retrouve une touche de gaieté dans la belle performance d'Anna Devin dans son air « Sul fil d'un soffio etesio », accompagnée par des têtes à la ramure dodelinant, mais qui n'interfèrent, ni de distraient d'aucune manière l'aria. A l’exact opposé, l'excellente prestation de Luis Gomes dans « Dal labbro il canto esasiato volasung » a lieu entre deux grands murs et l'infini du cosmos, et représente une rare occasion dans la maison d'opéra de voir le nanisme d'un chanteur, en contraste avec le décor, augmenter sa présence scénique.

traduction libre de la chronique anglophone de Sam Smith

Falstaff | 6 – 18 juillet 2015 | Royal Opera House, Covent Garden

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