Tosca à l’Opéra de Vienne – devant le rideau de scène

Xl_tosca_18_tetelman_stikhina © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

Du 20 au 29 septembre, et avant une reprise en avril, l’Opéra d'Etat de Vienne donne Tosca dans une mise en scène de la chorégraphe et ancienne ballerine autrichienne Margarethe Wallmann (22 juin 1904 – 2 mai 1992). Comme les plus voyageurs des lyricophiles l’auront deviné au nom de la metteure en scène, la production ne date pas d'hier. Il s'agit vraisemblablement de l'une des plus anciennes de cette institution. Et force est d’admettre que son aspect pompier commence à être gênant, surtout au regard de mises en scène plus contemporaines. Non seulement le plateau est extrêmement chargé, mais le décor lui-même parait très volumineux, donnant à voir un réalisme encombrant, voire kitsch. Les chanteurs ont ainsi peu de place pour se mouvoir dans l’église du premier acte, tout comme autour de l’ange au pied duquel Caravadossi se fait exécuter.

Malheureusement, il n’y a pas que le décor qui gêne les chanteurs, l’orchestre y met aussi du sien. Extrêmement hurleur avec des cordes irritantes et des vents surpuissants, l’orchestre dirigé par le chef italien Pier Giorgio Morandi force les voix à effacer leurs nuances, tandis qu’il perd lui-même le soyeux mélodique puccinien pour se faire entendre. En conséquence, la soprano russe Elena Stikhina en Tosca doit durcir l’acier de sa voix dans son « Non la sospiri la nostra casetta » et le ténor américano-chilien Jonathan Tetelman en Caravadossi appuyer sur le caractère apollinien de son chant. Son aria « L'arte nel suo mistero » au premier acte, comme son « E lucevan le stelle… » au dernier, ne semblent alors là que pour satisfaire son envie de gloire. Leur duo en devient outré et manque de la fraicheur qu’on pourrait en attendre, quand il n’est pas inaudible dans les récitatifs au premier acte, et artificiel au dernier.

Jonathan Tetelman (Cavaradossi), Ludovic Tézier (Scarpia) © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn
Jonathan Tetelman (Cavaradossi), Ludovic Tézier (Scarpia) © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

Durant le troisième acte, l’orchestre revient ronflant et criard, avec des cordes certes moins aigres mais sans grâce. Seul l’intelligence de la composition de Puccini, qui ménage un orchestre plus piano durant les arias permet aux chanteurs de se faire entendre. La soprano russe peut ainsi émettre un acier plus liquide et expressif, plus naturel même, dans son chant proche du récitatif, comme durant son « Com'è lunga l'attesa! ».

Durant la soirée du 25 septembre, pendant laquelle le rédacteur de cet article a assisté à cette Tosca, un souci mécanique empêchant le changement de décor obligea les chanteurs à se produire devant le rideau de scène baissé. Paradoxalement, on peut presque dire que l’incident a sauvé cet acte nodal. Débarrassés du décor, les chanteurs se font alors bien mieux entendre et même l’orchestre semble les laisser davantage respirer. Le contexte particulier permet aussi au baryton français Ludovic Tezier, en Scarpia, de se révéler pleinement. S'il commençait à montrer tout son talent dès la deuxième partie du premier acte, et notamment durant le Te deum, c'est surtout au deuxième acte que son talent brille de son feu noir. Les lyricophiles voyageurs ont déjà pu admirer son incarnation en retenue et humanité de Giorgio Germont dans La Traviata à Paris, ou celle plus volubile, souple et sournoise dans son Iago de l’Otello à l’Opera de Vienne. Ils sont tout aussi admiratifs ici, de le voir en Scarpia, entre ses deux pôles. Le jeu de son Scarpia tend vers son Iago, avoisine le personnage avec son confrère pervers narcissique shakespearien, ainsi que Puccini le lui fait dire (Jago ebbe un fazzoletto... ed io un ventaglio !...,Jago utilisait un mouchoir, moi un éventail). Il passe ainsi avec souplesse d’une noblesse supérieure à des comportements de gamin effronté, pour finir par des gestes annonçant le viol de la cantatrice, par lesquels sa nature prédatrice éclate véritablement. Et son chant, fluide, profond, sombre, qui serait visqueux s'il n'était pas aussi brillant, comme une nappe de goudron, engloutit l’héroïne dans son « Già - Mi dicon venal, ma a donna bella ». Encore une fois, une vraie leçon de jeu, de chant et d’incarnation de la part du grand baryton français. Son absence durant le troisième acte se fait bien sentir…

Jouant ainsi à l’avant-scène, la soprano russe sauve le « Vicce d’arte », en lui donnant plus d’émotions, de souplesse et de fluidité. Même le Caravadossi du ténor américano-chilien perdait de son affirmation pour devenir enfin plus humain, plus proche. Enfin !

Mais rien que pour Ludovic Tezier, il fallait faire le déplacement.

Andreas Rey
Vienne, 25 septembre 2025

Tosca à l'Opéra de Vienne, du 25 au 29 septembre 2025, puis du 12 au 20 avril 2026

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