
Après Philippe Jaroussky avec l’Orchestre national Montpellier Occitanie à Montpelier, c’est au tour de Christophe Rousset avec les Talents Lyriques de jouer l’opéra seria d’un Mozart de quatorze ans, Mitridate, re di Ponto, à Paris, ce 25 mai dernier. La différence entre ces deux productions n’est pas simplement que la première est scénique et la seconde en concert, la différence se situe surtout dans la direction d’orchestre. Si la direction du contre-ténor et maintenant aussi chef d’orchestre à l’Opéra de Montpellier était assez molle et très scolaire, celle du claveciniste et chef d’orchestre au Théâtre des Champs-Elysées est nerveuse, dynamique et vivante. Elle correspond donc bien mieux à un libretto exposant à vif les cœurs des personnages.
Pour autant, il n'y a pas que la direction d'orchestre qui est à saluer ce dimanche, la distribution aussi est admirable de par son articulation, son incarnation et sa distinction, autant que l’orchestre. Avec des récitatifs aussi brillamment réussis que les arias, le concert va de merveille en merveille. De la première à la dernière aria d’ailleurs, pas une qui n'ait pas été applaudie par le public, à raison, durant l’après-midi.
Le Mithridate du ténor sud-africain Levy Sekgapane, toujours au bord de la crise de jalousie saisit autant qu'il repousse, avec des accents aigus comme des crises égotistes d'enfants, et des arias pleins de rage jusqu'à la fin. Sa tessiture très « ténor léger » n'est peut-être pas tout à fait appropriée à un rôle fait davantage pour les ténors lirico spinto, mais il s’en sort très bien avec une incarnation hystérique jusqu'au pardon du dernier acte, avant sa mort.
Il faut aussi saluer le très bon ténor australien Alasdair Kent en Marzio, qui, bien que n'ayant qu’une seule aria, a su se démarquer avec un velouté et un flux musical très appréciable.
Les rôles masculins tenus par des sopranos méritent eux aussi des éloges. À commencer par les frères, tenus respectivement par la soprano Olga Bezsmertna pour Sifare et la mezzo Rose Naggar-Tremblay pour Farnace. Si la soprano ukrainienne sait retenir sa puissance vocale pour souligner le caractère craintif de ce fils obéissant qu’est Farnase, elle sait aussi parfaitement maîtriser ses lignes mélodiques pour une expressivité des plus touchantes. À l'opposé, la mezzo française dans son rôle de fils ardent, emporté, en un mot plus rebelle, parvient parfaitement à montrer dans ses éclats ses tourments intérieurs. Sans doute est-elle la cantatrice la plus actrice de toutes. Sa gestuelle, et surtout son port de tête, accentuent avec sa voix franche et directe les sentiments du personnage.
Les reines aussi ne manquent jamais de séduire. Surtout la soprano australienne Jessica Pratt à la technique parfaite, tellement d’ailleurs qu'elle disparait derrière l'émotion et l'incarnation. Il serait injuste de citer plus un air qu'un autre, mais il faut tout de même saluer la performance de la cantatrice. La soprano Maria Kokareva en Ismene est sans doute moins dans son incarnation, davantage dans sa technique, aussi ses arias semblent plus impressionnants que touchants. Elle compose une reine abandonnée par son amant et proche du roi, essayant de manœuvrer avec le tempérament de son mari.
Il ne faut surtout pas oublier l'Arbate de la mezzo-soprano néerlandaise Nina van Essen, parfaitement claire, franche mais malgré tout touchante en son rôle de courrier de mauvaise nouvelle à Mithridate.
Les duos sont parfaits aussi cette après-midi. Chaque voix est parfaitement audible et compréhensible, les harmonies vocales mozartiennes, qui font aussi partie de son géni musical, annonçait cette après-midi celles d’Idomeneo, des Noces de Figaro, de Don Giovanni et de Cosi fan tutte, évidemment.
Un concert de haute volée qui restera dans les annales du Théâtre des Champs-Élysées, comme dans les cœurs des auditeurs.
Andreas Rey
Paris, 25 mai 2025
Mitridate, re di Ponto au Théâtre des Champs-Élysées le 25 mai 2025
29 mai 2025 | Imprimer
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