© J. Berger / ORW Liège
Du 10 au 23 octobre, l'Opéra royal de Wallonie-Liège donnait Cosi fan tutte de Mozart. Un vrai délice, autant pour les amateurs que pour les novices, comme les réactions du public le montraient. Il faut commencer ici par saluer la bonne qualité – on aurait même envie de dire la bonne compréhension de l’œuvre – par la décoratrice et costumière Leila Fteita. Elle transforme la scène en une villa bourgeoise, avec un jardin à la Fragonard au rez-de-chaussée grâce à un fond de scène peints de buissons, d’arbustes et d’arbres, et des bancs de jardin sur le devant de scène, rappelant ainsi, sans insister, l'ambiance de marivaudage rococo de l'opéra. Elle accompagne aussi l'humour de Mozart et de Da Ponte, en déguisant Ferrando et Gugliemo en rockeurs rockabilly, lorsque Dorabella et Fiordiligi les fréquentent en Albanais, pour souligner le petit frisson du changement de classe des deux bourgeoises s'amourachant de faux prolétaires. Le metteur en scène franco-belge Vincent Dujardin soigne ici aussi le jeu d'acteurs, qui reste toujours naturel, parfois jusqu'à la gaucherie exagérée de Ferrando et Gugliemo, lorsqu'ils sont en Albanais, comme pour souligner l'humour légèrement caricatural de l'opéra.
Musicalement, la direction du jeune chef italiano-russe Sieva Borzak est quasi idéale, réussissant l'exploit de non seulement trouver le bon tempo – ce qui est toujours difficile avec Mozart –, mais aussi de jouer avec lui, en accélérant et en diminuant sa cadence en fonction des scènes. Ainsi tout comme Mozart diminue le rythme lors des accélérations et l'accélère lors des décélérations narratives, le chef renforce ou allège le tempo, sans interrompre le flux musical. Un chef à suivre, assurément !

Cosi Fan Tutte à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège - M. Mironov, V. Prato, J.M. Lo Monaco, F. Dotto © J. Berger / ORW Liège
Le plateau vocal n'est pas en reste non plus. Le défi de Cosi fan tutte est quasiment mathématique. Il s'agit d'atteindre l'essence même de l'opéra. Non seulement le nombre des personnages est extrêmement réduit pour concentrer la narration, mais les tessitures sont quasiment toutes là, et il s'agit de les faire dialoguer et chanter, seules ou les unes avec les autres, en utilisant toutes les formes de chant, de l'aria solitaire au quintet. Il faut bien reconnaitre que le défi est ici très largement réussi. Aucun des interprètes ne déroge à la qualité de l'ensemble, et tous les airs sont parfaitement exécutés. De la rencontre initiale entre Don Alfonso, Ferrando et Gugliemo au mariage final, tout est aussi réussi vocalement. La voix du bariton italien Vittorio Prato en Gugliemo, notamment dans son « Non siate ritrosi », plait avec ses graves viriles sans être trop profonds. Son bel canto reste fluide, mélodieux et sans artifice. Il en va de même pour le Ferrando du ténor russe Maxim Mironov, marqué par un bel canto clair, aérien et ouvert, particulièrement remarquable dans ses soli, et notamment dans son « Un'aura amorosa ».
Les voix des cantatrices ne sont pas en reste. La Dorrabella de la mezzo-soprano italienne Josè Maria Lo Monaco est aussi appréciable dans sa retenue qui s'ouvre progressivement avec l'arrivée de l'amour, que la Fiordiligi de la soprano italienne Francesca Dotto au bord de la volatilité. Leurs duos, parfaitement clairs et harmonieux, sonnent aussi bien que ceux avec leurs amoureux. Chacun de leur duo enthousiasme autant que le précédent.

Cosi Fan Tutte à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège - L. BINI - M.F. ROMANO © J. Berger - ORW Liège
Il faut aussi saluer la voix assurée du Don Alfonso du bariton italien Marco Filippo Romano dont la tessiture, avec une fermeté sous-jacente, incarne parfaitement le caractère doux, mais tout de même sournois, du personnage. Aussi parfaitement à l’aise dans son interprétation théâtrale de maitre du jeu, que dans son expression vocale, il est idéal en ligne sombre de l'opéra. On n’oublie pas non plus la Despina de la soprano italienne Lavinia Bini, dont la vis comica, quand la servante devient médecin ou notaire, réjouit autant que sa voix fraiche, franche et joueuse – surtout quand elle encourage ses maîtresses à se laisser tenter par l'amour envers les Albanais.
On aimerait retrouver cette fraicheur, cette joie, ce jeu à Bruxelles. Un grand plaisir, un humour basé sur une tragédie, le rire nietzschéen par excellence, se dégagent de cette production. Le public ne s'y trompe pas, en saluant la représentation d'une ovation debout.
Andreas Rey
Liège, le 19 octobre 2025
Cosi fan Tutte à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège, du 10 au 23 octobre 2025
24 octobre 2025 | Imprimer
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