Une Madama Butterfly sauvée par la musique à l'Opéra national du Rhin

Xl_madamabutterfly___strasbourg © Klara Beck

La pandémie aura eu au moins cela de bon que les rares spectacles qui en ont réchappés ont été proposés la plupart du temps sous format concertant, nous évitant ainsi de subir les divagations de certains metteurs en scène. Retour à la réalité avec cette Madama Butterfly rhénane confiée au metteur en scène argentin Mariano Pensotti qui trouve l’intrigue suffisamment inintéressante pour en superposer une autre à celle de l’infortunée Geisha. Après avoir signé in loco une production plutôt sage et respectueuse du livret avec Beatrice Cenci de Ginastera il y a deux ans, il prend celui de Giacosa et Illica à rebrousse-poil pour nous conter, par l’intermédiaire d’un sur-titrage omniprésent, l’histoire d’une jeune japonaise nommée Maiko Nakamura venue à Strasbourg pour mettre en scène… Madama Butterfly. Mariée à un français, elle subira le même sort que Cio-Cio San dans un jeu de miroir entre les vies des deux héroïnes…
La scénographie, d’un blanc clinique ou d'un noir opressant, fait l’économie radicale de tout ce qui pourrait renvoyer au Japon : nulle trace ici d’ombrelles ou de cerisiers en fleurs qui pourraient faire « couleur locale ». Cette froideur gagne le jeu des chanteurs qui restent toujours à distance les uns des autres, et l’on cherchera en vain la moindre trace d’émotion, pendant toute la soirée, dans une œuvre qui passe paradoxalement pour une des plus lacrymales du répertoire ! Pire, l’ennui pointe très vite le bout de son nez et l’on se désintéresse rapidement à l’aspect visuel et au texte hors-propos qui nous sont imposés, pour se concentrer sur la fosse, une porte d’échappée qui, par bonheur, procure un tout autre (et intense) plaisir.

Car c’est Maestro Giuliano Carella qui est aux manettes de la partie musicale, à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Strasbourg certes limité – dans une réduction pour une quarantaine de musiciens conçue par Ettore Panizza –, mais ô combien exaltant !  Avec le chef italien, la mise en valeur des plus subtils détails instrumentaux, des plus infimes variations de rythme et de dynamique ne tourne jamais à l’exercice de calligraphie, mais se met constamment au service du caractère dramatique de la partition de Giacomo Puccini.

Au kaléidoscope de couleurs que constitue la phalange alsacienne, répondent des voix à la hauteur des enjeux du compositeur toscan. Dans le rôle-titre, la soprano roumaine Brigitta Kele possède de multiples qualités, tant scéniques que vocales : intensité du jeu et implication totale dans son personnage, chant stable et magnifiques sons filés, mais bizarrement les suraigus sont soit escamotés soit obtenus à l’arraché. Ce n’est certes pas le reproche que l‘on fera au ténor étasunien Leonardo Capalbo, dont l’arrogance du registre aigu force le respect, en plus de posséder un physique idéal pour le fat Pinkerton. De son coté, la mezzo alsacienne Marie Karall se montre bouleversante en Suzuki, et ce malgré l’affreuse perruque dont on l’a affublée, tandis que le baryton grec Tassis Christoyannis est indéniablement un luxe, pour incarner Sharpless, avec son timbre somptueux, et ses accents tour à tour impérieux ou plein de compassion. Satisfecit pour le reste du plateau, avec une mention pour le Goro incisif de Loic Félix.

Emmanuel Andrieu

Madama Butterfly de Giacomo Puccini à l’Opéra national du Rhin, jusqu’au 6 juillet 2021

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