Une Carmen « comique » à l'Auditorium du Nouveau Siècle de Lille

Xl_carmen © Ugo Ponte

C’est un nouveau festival que vient d’initier l’Orchestre national de Lille : Les Nuits d’été. Et pour sa première édition, le choix du directeur général François Bou (et du directeur musical Alexandre Bloch) s’est porté sur Carmen, assurant ainsi le succès (en terme de billetterie en tout cas…) de la nouvelle manifestation estivale, qui a pour cadre l’Auditorium du Nouveau Siècle où se produit habituellement l’orchestre. Mais quelle drôle d’idée d’avoir confié à l’humoriste Alex Vizorek le soin de remplacer les dialogues parlés originaux par des commentaires décalés liés à notre actualité (aux côtés d’extraits de la nouvelle de Prosper Mérimée qui sont largement relégués au second plan)… et tout y passe : de l’évasion fiscale au mouvement #MeToo, de la déliquescence du parti des Républicains aux dîners somptuaires de François de Rugy, avec des commentaires - au passage - sur la coiffure du chef d’orchestre ou encore la baisse des subventions de la phalange lilloise… Certes le public rit beaucoup, mais le rapport entre toutes ces digressions et le drame de Carmen nous échappe (à titre personnel) encore, sans compter qu’elles rallongent la soirée et ralentissent l’action, les pauvres chanteurs n’ayant pas d’autre solution que de rester figés sur scène en attendant qu’on leur permette à nouveau de faire leur job !... Plus réussies, bien qu’essentiellement anecdotiques et illustratives, les projections vidéos de Grégoire Pont qui évoquent les différents lieux de l’action.

Par bonheur, musicalement parlant, les spectateurs ne peuvent qu’être comblés car ce sont parmi les meilleurs chanteurs français du moment qui ont été ici retenus. Dans le rôle-titre, Aude Extrémo confirme sa place de plus exaltante mezzo française de sa génération (aux cotés de Clémentine Margaine) grâce à sa voix racée, d’une ampleur peu commune, rattachée à un timbre mordant et attachant. Par ailleurs, sa présence scénique, toute de détermination, glorifie une Carmen qui - assumant la conséquences de ses actes, sans hésitation et sans nostalgie - ose vivre et aimer au grand jour. A ses côtés, le ténor québécois Antoine Bélanger (Don José) ne possède pas exactement le même feu et la même urgence scéniques, au risque de déséquilibrer le duo, d’autant que le timbre est clair et pas toujours bien projeté. Mais ce que l’on perd en puissance, on le gagne en élégance, et sa voix souple et ductile s’avère en revanche idéale pour le fameux air « La fleur que tu m’avais jetée », délivré avec un luxe inouï de nuances et couronné d’un superbe Si-bémol en voix de tête. Pour sa prise de rôle, Florian Sempey ne fait qu’une bouchée du rôle d’Escamillo auquel il prête son somptueux organe, sa glorieuse diction, et sa souveraine autorité en scène. Remplaçant au pied levé Layla Claire, Gabrielle Philiponet campe une radieuse Micaëla, dénuée de toute mièvrerie, et impose son personnage par des moyens aussi généreux qu’attractifs, mais aussi par une part de sensibilité naturelle qui lui valent un beau succès personnel au moment des saluts. Soulignons également les qualités expressives de Pauline Texier (Frasquita) et d’Adelaïde Rouyer (Mercédès), l’aisance communicative d’Antoine Chenuet (Remendado) et de Jérôme Boutillier (Dancaïre), tandis que Philippe-Nicolas Martin offre un Moralès particulièrement racé et Bertrand Duby un Zuniga sonore.

La soirée vaut enfin pour la superbe direction musicale d’Alexandre Bloch, le directeur musical de l’ONL. A la tête de sa phalange, le chef français offre une lecture vibrante et percutante de la partition de Bizet, à l’image de l’Ouverture, exécutée au pas de charge. Une lecture certes musclée mais nuancée aussi, laissant entendre des finesses et des détails insoupçonnés, un exploit pour une des œuvres parmi les plus jouées du répertoire lyrique. On mentionnera également la superbe prestation du Chœur de l’Opéra de Lille, exemplaire de précision et de musicalité, de même que la Maîtrise du Conservatoire de Wasquehal se distingue par sa fraîcheur et sa spontanéité.

Emmanuel Andrieu

Carmen de George Bizet à l'Auditorium du Nouveau Siècle de Lille, le 11 juillet 2019

Crédit photographique © Ugo Ponte

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