Un Faust iconoclaste à la Royal Opera House de Londres

Xl_faust © Bill Cooper

Etrénnée in loco il y a tout juste dix ans, cette production de Faust imaginée par David McVicar continue d'être un choc pour la rétine et l'esprit, les scènes fortes se succédant les unes aux autres : on y voit un Méphisto déguisé en drag-queen, un Siébel bancal, une Marguerite allumeuse, un Faust survolté entre deux prises de drogue... On n'en finirait pas de recenser les surprises qui ponctuent ici un récit dont on croyait, pourtant, tout connaître. Que dire aussi du tableau de la kermesse – transformée en un cancan sexually explicit, sous les ampoules clignotantes du cabaret de l'enfer – ou du ballet de la nuit de Walpurgis – dans lequel une danseuse (un double de Marguerite), enceinte jusqu'au cou et hurlant de douleur, manque d'avorter à chaque entrechat -, deux scènes qui nous offrent de l'Enfer des visions on ne peut plus débridées ? Cette relecture radicale et iconoclaste se distingue de bien d'autres tentatives similaires par sa cohérence absolue. On peut évidemment refuser cette logique décapante et trouver que Goethe, Barbier et Carré sont mis à rude épreuve. Mais, à partir du moment où l'on entre dans le jeu de McVicar, comment ne pas être immédiatement conquis ?

La direction d'acteurs donne par ailleurs des ailes à tous les chanteurs, à commencer par le Faust de Joseph Calleja, tour à tour sosie de Gounod, en organiste échappé de l'univers de Gaston Leroux, en diablotin gothique ou en héronoïmane affalé. Quant à la voix, avec ce vibratello si caractéristique et si charmant qui est le sien, elle s'avère agréable, chaleureuse, ductile, au service d'une expressivité sobre et nuancée, rehaussée par un français châtié. Son grand air « Salut ! Demeure chaste et pure » s'affirme, enfin, comme un modèle de style et d'élégance.

Suite au forfait de la soprano star Anna Netrebko, c'est Alexia Voulgaridou qui tient le rôle de Marguerite ce soir (Sonya Yoncheva assurant d'autres dates). Techniquement impeccable dans l'air des bijoux, la soprano grecque diffuse ailleurs, et sans jamais forcer ses moyens, une émotion poignante, en particulier dans une bouleversante scène de la chambre, et une scène finale où l'aisance dans l'aigu le dispute à un formidable engagement dramatique.

En magicien cabotin revêtant les habits les plus saugrenus, le Méphisto de Bryn Terfel tire superbement les ficelles de l'intrigue. Avec son léger accent et un timbre qui n'est pas uniformément noir, le baryton-basse gallois fait vivre un personnage d'une rare complexité, tout droit sorti de quelque underground des années punk. Le Siébel pathétique de Renata Pokupic et le fringant Valentin de Simon Keenlyside (un vrai luxe !) sont tout aussi formidables. N'oublions pas Diana Montague (Dame Marthe), Jihoon Kim (Wagner), des choeurs dans une forme magnifique et enfin un corps de ballet qui se tire avec une maestria confondante, de situations passablement tordues.

Last but not least, Maurizio Benini - à la tête de l'Orchestre et des Choeurs du Royal Opera House - restitue à Faust une allure et un dynamisme qui, en parfait accord avec la proposition scénique de David McVicar, lui procurent un sacré coup de jeune. Ce n'est pas le moindre des bonheurs d'une soirée qui n'en a pas été avare !

Emmanuel Andrieu

Faust de Charles Gounod à la Royal Opera House de Londres - Le 11 avril 2014

Crédit photographique © Bill Cooper

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