Orphée aux enfers pour les Fêtes à l'Opéra Grand Avignon

Xl_orph_e2 © Cédric Delestrade

Le mois de décembre amène souvent les directeurs de maisons d'opéra à programmer le même type d'ouvrages, en cette période de fêtes, et en première place les opéra-bouffes de Jacques Offenbach, comme La Belle Hélène à Nancy, Barkouf à Strasbourg ou encore Fantasio à Montpellier. C’est sur Orphée aux enfers que s’est porté le choix de Pierre Guiral, confiant à Nadine Duffaut le soin d’une nouvelle mise en scène, et à Dominique Trottein celui de la direction musicale de l’ouvrage. Ces deux-là n’en sont pas à leur première réalisation ensemble (La Vie parisienne, La Fille du Tambour-Major, Les Mousquetaires au couvent...), et ils ont choisi de mélanger la première version d’Orphée aux enfers, opéra-bouffe en deux actes et quatre tableaux de 1858, avec l’opéra-féérie en quatre actes de 1874 . 

Pour le reste, Nadine Duffaut sait bien que le spectateur d’aujourd’hui n’a plus une connaissance parfaite du grand-opéra du XIXe siècle ni des dessous de la société bourgeoise du Second Empire. La saveur de la parodie, comme celle de la satire politique, lui échappent en (grande) partie. Les personnages sont donc ici réactualisés (on y trouve, de manière un peu foutraque, Elvis Presley aux côtés d’Alice au Pays des merveilles, mais aussi Cléopâtre ou Pocahontas…), tandis que les dialogues sont retouchés (« L’eau ferrugineuse non ! L’alcool oui ! »). La mise en scène arrive tant bien que mal à rendre sensibles les rouages de l’action, mais l’on rit tout de même assez peu au cours d’une soirée qui s’éternise du coup passablement…

Dans l’ensemble, tout le monde chante et joue bien. On est d’abord séduit par l’Eurydice de Julie Fuchs, prophétesse en son pays, aussi belle que pétulante, maîtrisant avec une parfaite audace vocale les envolées de sa partie. On n’est pas moins comblé par les apparitions trop rares de l’Opinion publique de Sarah Laulan, en dame d’œuvres revêche et vipérine. Caroline Géa a l’abattage requis pour Diane, et le Cupidon d’Amélie Robins fait preuve de la grâce et de l’impertinence voulues. On applaudit sans restriction à la fine musicalité du jeune ténor Samy Camps, Orphée de très bonne école, même s’il n’éclipse pas le Aristée/Pluton de son plus aguerri confrère Florian Laconi, qui semble avoir mangé du lion ce soir, et se démène comme un diable (on ne lui a pas toujours connu un tel épanchement scénique !). Doyen de la troupe, Francis Dudziak est un grand héritier de la tradition française, prêtant son timbre de baryton clair, sa diction soignée et sa solide projection au Dieu Jupiter. La saltarelle de Mercure entre tout à fait dans les cordes du drôlissime Eric Vignau, tandis que Jacques Lemaire (John Styx) cisèle avec autant de sensibilité que de virtuosité scénique le fameux « Quand j’étais roi de Béotie ». Une mention, enfin, pour la toujours désopilante Jeanne-Marie Lévy, Junon plus vraie que nature…

Partenaire essentiel dans la discrétion comme dans l’exubérance, le Chœur de l’Opéra Grand Avignon joint l’exactitude à la couleur, quand les danseurs et danseuses du Ballet de l’Opéra Grand Avignon (préparé par Eric Belaud) offrent un cancan endiablé en fin de soirée. Eminent spécialiste de ce répertoire, Dominique Trottein impose des tempi généralement très enlevés, sans traiter pour autant l’opérette à la légère. C’est un Orchestre Régional Avignon-Provence très en forme qui lui répond, à la fois plein d’entrain et respectueux des nuances de la géniale partition du Petit mozart des Champs-Elysées.

Emmanuel Andrieu

Orphée aux enfers de Jacques Offenbach à l’Opéra Grand Avignon (décembre 2018)

Crédit photographique © Cédric Delestrade

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