Lucia di Lammermoor à l'Opéra-Théâtre de Limoges

Xl_lucia_-__thierry_laporte__14_ © Thierry Laporte

Après Rouen et avant Reims, c'est à l'Opéra-Théâtre de Limoges qu'est proposé Lucia di Lammermoor, le chef d'œuvre de Gaetano Donizetti, dans une mise en scène de Jean-Romain Vesperini, qui avait moyennement convaincu dans son Faust de Gounod la saison dernière, à l'Opéra National de Paris. Reconnaissons qu'il tient bien mieux son pari ici. Sans être proprement traditionnelle ou convenue, sa proposition scénique se montre à la fois stylisée et épurée, riche en images belles et fortes, aussi éloignée de l’exotisme de pacotille que des élucubrations psychanalytiques proposées par certains de ses confrères.... Elle transporte l’action en une temporalité et une spatialité assez indéterminées, avec un plateau occupé par un grand bloc cubique incliné (décor de Bruno de Lavenère), au centre duquel se déroule les différents épisodes de l'histoire. Parmi les bonnes idées, on retiendra notamment la scène (d'habitude invisible) où Arturo essaie de consommer son mariage avec brutalité, avant que Lucia ne le poignarde avec tout autant de violence. Soucieuse d’efficacité théâtrale dans les tableaux d’ensemble, la direction d'acteurs de Vesperini abandonne - en revanche - un peu trop les solistes à eux-mêmes dans les airs et les duos, notamment le baryton, planté à l’avant scène dans des poses convenues, ce qui n’arrache pas le personnage d’Enrico à la routine.

Après son triomphe dans Traviata in loco en 2012, nous attendions avec fébrilité la prise de rôle de Lucia par la formidable soprano russe Venera Gimadieva, désormais réclamée par les plus grandes scènes internationales, comme la Royal Opera House de Londres, la Deutsche Oper de Berlin ou le Teatro Real de Madrid. On peut certes préférer dans cette partie un grand lyrique - à la Yoncheva -, plutôt qu'une soprano colorature – à la Peretyatko (chanteuse à laquelle on ne peut s'empêcher de lui trouver nombre de similitudes), mais elle n'en convainc pas moins de bout en bout, grâce à son art de s'abandonner à ces inflexions nostalgiques et éthérées qui mettent à nu l'âme des romantiques. Avec un investissement total dans le rôle, la virtuosité est ici mise au service de l'expression, et la scène de folie n'est plus un exercice gratuit, mais l'expression profonde du désespoir.

De son côté, le ténor kosovar Ramè Lahaj (Edgardo) est une révélation. En plus d'être très crédible scéniquement - et d'être doté d'un physique très avantageux -, il chante comme d'autres respirent. C'est réellement superbe, et l'on ne sait qu'apprécier le plus : la ligne très pure, la facilité des aigus, le timbre superlatif ou l'émission parfaitement contrôlée. Un ténor dont nous allons suivre l'itinéraire de près ! Dans le rôle d’Enrico, Boris Pinkhasovic offre une voix sonore, généreuse et bien timbrée, mais le baryton russe ne se préoccupe pas toujours de nuances, dans le droit fil d’une tradition qui veut que la brutalité du frère de Lucia se traduise à tout prix dans sa ligne de chant. 

La basse bulgare Deyan Vatchkov campe un Raimondo vocalement assez noble, tandis qu'on remarque la superbe prestation du sémillant ténor français Enguerrand de Hys, que l’on rêve déjà d’entendre dans le rôle d’Edgardo (qu’il ne manquera pas – c'est tout le mal qu'on lui souhaite – de chanter un jour...). De fait, il parvient à donner un saisissant relief au personnage sacrifié d'Arturo, grâce à son timbre clair et bien projeté. Une mention enfin pour les Chœurs de l’Opéra de Limoges et de l'Opéra de Rouen Normandie (préparés par Jacques Maresch), très sollicités dans Lucia, et en tous points excellents, ainsi que pour une équipe de seconds rôles très convaincante, d’où l'on détachera la mezzo marocaine Majdouline Zerari dans le rôle d'Alisa.

En fosse, Antonello Allemandi parvient à créer un vrai climat de tragédie. Le chef italien possède une parfaite connaissance des règles et des traditions du melodrama du XIXe siècle, et il sait préserver pendant toute la soirée - à la tête d'un Orchestre de Limoges et du Limousin bien disposé - un savant équilibre entre orchestre et chanteurs.

Ceux qui ont raté le spectacle à Rouen ou Limoges pourront toujours prendre le train pour Reims !

Emmanuel Andrieu

Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti à l'Opéra-Théâtre de Limoges les 1, 3 & 5 novembre, puis à l'Opéra de Reims les 27, 29 novembre & 1er décembre

Crédit photographique © Ville de Limoges / Thierry Laporte

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