L'Opéra Royal de Wallonie redonne sa chance à Mignon d'Ambroise Thomas

Xl_s._d_oustrac_dans_mignon_de_thomas___li_ge © Jonathan Berger

Que n’a-t-on pas dit – et médit ! – de Mignon et de son auteur Ambroise Thomas ? Orchestration conventionnelle, délicatesse un peu mièvre, charme discret qui ne peut séduire aujourd’hui qu’un public nostalgique. Et bien, l’Opéra Royal de Wallonie doit être un repaire de nostalgiques car le succès remporté par la production imaginée par Vincent Boussard est total – du côté du public du moins. L’on croit retrouver les heureux soirs du XIXe siècle, où l’ouvrage ne connut pas moins de 1000 représentations entre 1866 et 1895 !

C’est qu’en dépit des détracteurs habituels, l’œuvre résiste au temps et aux modes. Parce que sur un livret de Michel Carré et Jule Barbier prenant certaines licences à l’égard de l’ouvrage de Goethe Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister, Ambroise Thomas (1811-1896) a su rester dans son registre, là où il excellait (les tons élégiaques, une gentillesse constante et une sensibilité de bon aloi), qui ne lui permettait pas d’approcher avec la même réussite les grands thèmes de Shakespeare (Hamlet, son plus grand succès) ou Dante (Francesca da Rimini). C’est bien ce qu’avait noté le facétieux Emmanuel Chabrier, disant qu’en musique « Il y a la bonne, la mauvaise, et celle d’Ambroise Thomas ! ». Mais si l’auteur de Mignon n’a ni l’originalité d’un Berlioz ni la puissance d’un Wagner, il n’en a pas moins ses qualités propres, sui generis : couleur orchestrale dès l’Ouverture, solidité de l’écriture (des duos, trios et quatuors vocaux) et une tendresse qui ourle la partition, notamment dans le III. Et le public s’enthousiasme toujours autant pour les airs célèbres qu’enchaîne la partition : « Connais-tu le pays… » (Mignon), le duo des hirondelles « Légères hirondelles, oiseaux bénis des dieux », l’air de Wilhelm « Adieu, Mignon, courage ! », la Polonaise de Philine (« Je suis Titania la blonde »), le chœur d’entrée de l’acte III « Au souffle léger du vent », la berceuse de Lothario « De son cœur, j’ai calmé la fièvre », ou encore la prière de Mignon « O Vierge Marie, le Seigneur est avec vous ».

Après avoir signé une retentissante production de Hamlet à Marseille en 2010, spectacle repris à l’Opéra Grand Avignon en 2015, on comprend que Vincent Boussard ait eu envie de se confronter au second chef d’œuvre du compositeur messin, avec peut-être moins de réussite cependant. Car il reprend, certes avec beaucoup de talent, la recette (un peu éculée maintenant) de la mise en abyme du théâtre dans le théâtre. La scénographie de Vincent Lemaire montre un cadre de scène inversée, tandis qu’en fond de scène une immense toile représente une salle de spectacle en fer à cheval. En miroir, le chœur fait office de spectateurs… face aux « vrais » spectateurs. Par ailleurs, pour mieux bousculer les frontières entre le théâtre et la réalité, les accessoiristes entrent fréquemment dans l’espace scénique, tandis que les costumes (conçus par Clara Peluffo Vlentini) mêlent allègrement les époques, du début du 19ème à nos jours, brouillant un peu plus les pistes. Lothario est grimé ici en metteur en scène et il dirige donc les personnages comme a pu le faire Boussard pendant les répétitions... Différence avec les autres productions que nous avons pu voir de l’œuvre, c’est la version originale qui a été ici retenue, avec des dialogues parlés (et non des récitatifs), et une fin tragique. Mais bizarrement, la fin « heureuse » est quand même maintenue après la mort de Mignon, ce qui paraît plutôt incongru.

Stéphanie d’Oustrac campe une intense Mignon, à la fois candide et ardemment volontaire, fragile et attachante, d’une sensibilité presque exacerbée. La voix, au timbre toujours aussi prenant, sonne ample et sûre, avec une espèce d’urgence qui, pourtant, ne vient jamais bousculer la ligne musicale ni faire obstacle aux nuances. Irrésistible, Jodie Devos réussit cependant le tour de force de lui voler la vedette, car la soprano wallone brille de mille feux ce soir. Son chant infaillible, sa jubilation, sa rouerie enjouée s’allient à une diction parfaite : elle semble née pour incarner Philine ! L’excellent ténor français Philippe Talbot campe un Wilhelm Meister sobre, mesuré, authentiquement humain, déjouant avec autant de musicalité que de charme les subtiles difficultés vocales de son rôle. La superbe voix de basse de Jean Teitgen, et sa tenue scénique, confèrent à Lothario l’allure qui sied au personnage. De son côté, Geoffrey Degives s’engage avec vivacité dans le rôle de Frédéric (habituellement confié à une mezzo), tandis que Roger Joakim est un Jarno sonore et présent. Enfin, le jeune Jérémy Duffau compose un Laërte incisif et superbement chantant, confirmant toutes les bonnes impressions laissées jusqu’alors.

Enfin, Frédéric Chaslin se pose en maître d’œuvre de la soirée. À la tête d’un magnifique Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie, le chef français fait sonner comme jamais la musique de Mignon. Au lieu de s’étirer en un commentaire maigrelet, il contribue avec élégance et vivacité à l’action toujours en marche, sans alanguissement inutile. Est-il besoin de répéter que la soirée est un triomphe ?

Emmanuel Andrieu

Mignon d’Ambroise Thomas à l’Opéra Royal de Wallonie, jusqu’au 9 avril 2022

Crédit photographique © Jonathan Berger

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