L'Opéra de quat'sous : Kurt Weill à nouveau à l'honneur à l'Opéra de Toulon

Xl_4_sous © Frédéric Stéphan

Kurt Weill réussit décidément bien à l'Opéra de Toulon, après l'immense succès qu'avait rencontré auprès du public provençal son opéra Street Scene, il y a quelques saisons de cela. Cette fois, Claude-Henri Bonnet a opté pour son œuvre la plus célèbre, L'Opéra de quat'sous, qui, malgré une idée reçue, est peu donné dans l'hexagone. Composé à partir du texte de Bertolt Brecht par Kurt Weill. L’Opéra de quat’sous est créé à Berlin en août 1928, et est en fait l’adaptation d’un opéra de John Gay, L’Opéra des Gueux (1728), qui inspirera également le compositeur Benjamin Britten au XXe siècle.  

Brecht a transposé l’histoire dans le Londres misérable du temps de la reine Victoria : Jonathan Peachum gère toute une équipe de déshérités, véritable cour des miracles organisée, dont il perçoit de larges bénéfices. La pitié est son fond de commerce. Lorsqu’il apprend, avec sa femme Celia, le mariage de leur fille Polly avec Macheath, dit Mackie-le-surineur, ils mettent tout en place pour le faire pendre : on achète la trahison d’une putain, la bien nommée Jenny-des-Lupanars, et on fait du chantage à Tiger Brown, chef de la police de Londres, dont on sait qu’il protège son vieil ami Mackie. Evadé après une première arrestation, Macheath finit par se retrouver de nouveau en prison et on lui passe alors la corde au cou. Mais un héraut du roi paraît, tel un Deus ex-machina, et on doit relâcher le prisonnier qui sera anobli, puis promu rentier à vie ! Happy end aussi ironique que parodique…

Le metteur en scène français Bernard Pisani - à qui a été confiée la réalisation scénique (déjà présentée dans les opéras de Metz, Reims et Tours) - a opté pour la version française de l'ouvrage (songs comprises), dans la traduction de Jean-Claude Hémery. On le sait, l'ouvrage n'est pas facile à monter. Pariant pour une grande fidélité au texte, Pisani recherche avant tout la cohérence de la fiction ; sans doute essaie t-il d'accrocher un public à priori peu disposé à entrer dans la fantaisie d'un show perpétuellement rebelle à la raison, débridé et anarchiste. Ce que nous voyons pécherait ainsi presque par une trop grande rationalité du propos théâtral, mais pour autant, le metteur en scène parvient - avec des moyens plutôt limités, dans l'efficace décor unique de Luc Londiveau, savamment éclairé par les lumières vivantes de Jacques Chatelet – à restituer cette poésie naïve, dont la trace demeure dans le film de Pabst. Mettons également à son crédit une direction d'acteur aussi soignée que fouillée. 

Demeure la question épineuse du choix des protagonistes de l'histoire, tout en précisant d'emblée qu'il s'agit là d'une équipe de comédiens-chanteurs dont il serait vain d'attendre une leçon de chant... bien qu'ils s'en tirent (quasi) tous plus qu'honorablement. Dans le rôle de Mackie, Sébastien Lemoine imprime à son personnage l'accent, l'intériorisation, l'émotion et la présence scénique requis. Le couple Peachum (Isabelle Vernet et Frédéric Longbois) est irrésistible de drôlerie, la première grâce à son incroyable faconde, le second par son cynisme bien trempé. Leur fille Polly, interprétée par la soprano française Sophie Haudebourg, ne possède malheureusement pas la vocalité (ni vraiment l'âge) de son personnage. Anna Destraël (Jenny-des-Lupanars) évoque efficacement le charme morbide des années 30, tandis qu'Anna Maria Serra pimente sa Lucy d'un accent italien prononcé, ce qui peut paraître dépareillé avec le reste du plateau. Déception, en revanche, pour le Tiger Brown de Jean-Philippe Corre qui manque autant d'impact physique que vocal pour rendre justice à ce sombre protagoniste. De leur côté, les comprimari se montrent tous à la hauteur des leurs.

Retrouvant la proximité qu’il avait lors de la création de l’ouvrage, l’orchestre est ce soir surélevé. Il est composé de onze instrumentistes issus de l'Opéra de Toulon, placés sous la direction de Nicolas Krüger, qui s'avère – depuis son piano - un animateur de premier ordre. Car le chef français imprime à la musique une pulsation fort bienvenue, et souligne avec maestria toutes les couleurs et tous les rythmes propres à la partition.

Emmanuel Andrieu

L'Opéra de quat'sous de Bertolt Brecht & Kurt Weill à l'Opéra de Toulon, jusqu'au 6 mars 2016

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