Laurent Campellone dirige Werther dans sa version baryton à l'Opéra de Tours

Xl_werther___tours © Marie Pétry

Presque dix ans après la création viennoise de 1892 (en allemand), le légendaire Mattia Battistini crée la révision du Werther de Jules Massenet pour la voix de baryton (à Varsovie et en italien !). En France, c’est justement à l’Opéra de Tours qu’est donnée pour la première fois cette version : c’était en 2001 avec Jean-Sébastien Bou dans le rôle-titre. Pour qui connaît par cœur son Werther ténoral, la présente mouture, forcément plus sombre, moins spectaculairement vocale (avec ses descentes dans les graves plutôt que ses envolées dans l’aigu), peut souvent donner l’impression de tourner autour de la note et de délayer la phrase.

Il faut donc toute la force de persuasion du rôle-titre – et en l’occurrence celle du magnifique baryton français Régis Mengus – pour briller dans cette partie. L’extension de son instrument, le prisme des couleurs de la voix, une diction souveraine, et son engagement vocal et dramatique sans faille font que l’on se laisse porter sans résistance par cet « autre » opéra. Face à lui, c’est une Charlotte tout feu tout flamme qu’incarne Héloïse Mas, ce soir dans une forme vocale particulièrement éblouissante. Elle offre également à son personnage une émission d’une homogénéité exemplaire et une puissance dans l’aigu qui font de son acte III un spectaculaire moment de chant. Tout d’un bloc, d’une froideur et même d’une violence insoutenable envers sa femme, le baryton russe Mikhail Timoshenko campe un Albert qui fait froid dans le dos, mais avec une intonation un peu trop slave pour faire complètement honneur à sa partie. La soprano suisse Marie Lys incarne une Sophie espiègle, sans rien de pointu, et se montre d’une musicalité infaillible. Franck Leguérinel en fait trop en Bailli, avec un instrument désormais instable, tandis que le couple Johann / Schmidt fonctionne en revanche à merveille, sous les traits de Mikhael Piccone et Antonel Boldan.

Quant à la production, confiée à Vincent Boussard, elle a été étrennée en mai dernier à l’Opéra de Lausanne (avec la même équipe artistique, hors le rôle-titre, Eric Vigié ayant conservé la version « classique » pour ténor, rôle dévolu à Jean-François Borras). On retrouve l’univers esthétisant qu’affectionne l’homme de théâtre français, mais il l’épure ici pour donner un sentiment de claustrophobie et d’oppression, celui d’une bourgeoisie étriquée et mortifère. Au I, un grand mur ne laisse que peu de place, à l’avant-scène, aux protagonistes, qui sont ensuite empêchés – voire séparés – par de hautes parois blanches. Dans cette scénographie étouffante (conçue par le fidèle Vincent Lemaire), les somptueuses robes signées par le styliste star Christian Lacroix pour Charlotte apportent une certaine « respiration » à la soirée. Côté direction d’acteurs, la principale idée de la mise en scène réside dans le fait qu’Albert est toujours présent lors des duos entre Charlotte et Werther, son ombre menaçante et réprobatrice ajoutant au caractère dramatique du spectacle. Mais bizarrement, on n’assite pas ici au suicide du héros, le coup de feu mortel ne retentissant qu’après les dernières notes émises par l’orchestre…

Digne héritier de Michel Plasson, Laurent Campellone tient tout dans ses mains, cravachant les musiciens d’un valeureux Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours qui ne rechigne pas un instant à la besogne. Il façonne amoureusement, soigne la moindre courbe, galbe chaque phrasé, chante tous les rôles et chauffe à blanc un crescendo lyrique infini. Une grande soirée massenétienne !

Emmanuel Andrieu

Werther de Jules Massenet au Grand-Théâtre de Tours, jusqu’au 4 octobre 2022

Crédit photographique © Marie Pétry
 

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