Jean-Louis Grinda signe un étonnant Samson et Dalila à l'Opéra de Monte-Carlo

Xl_samson2 © Alain Hanel

Foule des grands soirs dans la Salle des Princes du Grimaldi Forum de Monaco, cette représentation de Samson et Dalila étant donnée exclusivement « Sur invitation du Palais », dans le cadre de la Fête Nationale monégasque. Sitôt après l'apparition de son Altesse Sérénissime le Prince Albert II et de la Princesse Caroline dans leur loge, l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, placé sous la direction de son chef permanent Kazuki Yamada, entonne l'hymne national de Monaco (dans la langue vernaculaire), auquel s'adjoignent les voix de la famille Princière et celles d'une (grande) partie des spectateurs. Si l'hymne n'est pas d'une grande finesse orchestrale, on n'en est pas moins de suite saisi par la brillance et la clarté de la phalange maison, et c'est bien de la fosse que viendra le plus grand bonheur de la soirée.

Saisissant d’emblée l’architecture complexe de la partition de Camille Saint-Saëns, le jeune chef japonais (Lauréat en 2009 du mythique Concours International de Besançon) en offre une lecture d’une superbe cohésion, particulièrement attentive au dosage des couleurs et des contrastes, toujours soucieuse de fournir le meilleur accompagnement possible aux chanteurs. Absent de l’affiche monégasque depuis 39 ans, ce chef d’œuvre de l’art lyrique français ressort ici dans tout son exotisme délicat et ses nombreux raffinements d’écriture. On sera également gré à Yamada d’éviter tout orientalisme de bazar dans la Danse des Prêtresses de Dagon ou la fameuse Bacchanale, superbement chorégraphiées par Eugénie Andrin qui avait à sa disposition le Ballet de l’Opéra de Shanghaï (maison coproductrice du spectacle, aux côtés des Chorégies d’Orange où la production sera montée ultérieurement). Le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, superbement préparé par Stefano Visconti, se couvre également de gloire, aussi poignant de délicatesse dans « Hymne de joie, hymne de délivrance » qu'héroïque dans « Israël, romps ta chaîne ! ».

Mais la magnifique distribution réunie ce soir n’est pas en reste, à commencer par la fabuleuse mezzo géorgienne Anita Rachvelishvili qui campe une Dalila superlative, séduisant l’auditoire dès son premier air « O mon bien aimé », et plus encore dans « Printemps qui commence », chanté avec un respect des annotations et de l’alternance du piano/forte qu’on trouve chez peu de ses rivales… si tant est qu’elle en ait une aujourd’hui dans cet emploi ! Sa voix dense, d’une palette extrêmement variée, possède la projection nécessaire dans « Samson recherchant ma présence », ainsi que dans le duo avec le Grand Prêtre où Saint-Saëns a appris la leçon de l’affrontement entre Ortrud et Telramund ; elle a surtout le mordant et cette autorité rageuse que toute Dalila se doit de posséder, mais sait également retrouver l’accent et l’élégance de la ligne dans un bouleversant « Mon cœur s’ouvre à ta voix ». Cette âme à vif qui vainc sa douleur les yeux rivés sur un bonheur envolé, pour finalement sombrer dans une haine quasi libératrice, réussit surtout à nous faire éprouver une incroyable émotion !

De son côté, le ténor letton Aleksandrs Antonenko campe un Samson à toute épreuve, capable de maîtriser la tessiture de bout en bout sans l’ombre d’une fatigue. Le timbre, sombre et dense (qui fait parfois penser à celui de Jon Vickers), est projeté avec insolence tandis que la diction s’avère tout à fait satisfaisante. Le sublime air de la meule, « Vois ma misère », phrasé avec beaucoup de nuances et des accents qui traduisent toute la souffrance intérieure du héros, émeut profondément. L’auditeur ne peut que s’abandonner au plaisir d’écouter cette grande voix, généreuse et vibrante. De son côté, le baryton français André Heyboer s’avère un impressionnant Grand Prêtre de Dagon, à la fois par la précision de sa diction que par son art de la déclamation. Le jeune Julien Véronèse impose des qualités analogues en Abimélech, tandis que Nicolas Courjal est tout bonnement un luxe dans le personnage du Vieil Hébreux. Enfin, les trois Philistins (Marc Larcher, Frédéric Caton et Frédéric Diquéro) s’affirment à la hauteur de leurs prestigieux collègues.

Comme souvent, le maître des lieux Jean-Louis Grinda s’est auto-confié la mise en scène de ce spectacle d’exception qu’est l’ouverture de la saison monégasque chaque 19 novembre (à l’instar du 7 décembre pour La Scala de Milan). Sa surprenante production est avant tout faite d’ambiances et de climats, de saveurs puissantes et âpres, l’homme de théâtre monégasque possédant un sens aussi sûr que profond des atmosphères, parfaitement secondé pour cela par Laurent Castaingt (et ses savants éclairages), mais surtout par le plasticien italien Agostino Arrivabene qui a imaginé des décors et des costumes tous aussi somptueux les uns que les autres, mélangeant allégrement les civilisations les plus diverses, et qui ne sont pas sans rappeler ce style « péplum éhonté » d’un certain Cecil B. De Mille... Pour le reste, Grinda connaît à plein tous les ressorts de l’efficacité dramatique, et les applique ici de magistrale façon ! La soirée se termine comme il se doit par l’effondrement total du décor, grâce à l’habile utilisation de l’image vidéo, à la plus grande joie des spectateurs.

De la haute couture. Du cousu main. Visuellement étonnant, voilà son Samson... une exemplaire réussite dont les illustres hôtes de cette magnifique soirée peuvent légitimement être fiers !

Emmanuel Andrieu

Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns au Grimaldi Forum de Monaco - les 19, 22 & 25 novembre 2018

Crédit photographique © Alain Hanel

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