Jakob Lenz de Wolfgang Rihm à La Monnaie de Bruxelles

Xl_lenz © Bernd Uhlig

Créé à Hambourg en 1979, Jakob Lenz est une œuvre de jeunesse de Wolfgang Rihm (né en 1952). Elle se situe au carrefour de plusieurs sources du romantisme allemand, et au-delà même. Tiré de Lenz, la nouvelle de Georg Büchner, le livret de Michael Fröhling évoque la personnalité de l'écrivain allemand (1751-1792), auteur entre autres des Soldats (qui inspirèrent à Bernd Alois Zimmermann un opéra mythique dont nous avons eu la chance de voir une magnifique production en janvier dernier à La Scala de Milan). Devenu fou, Lenz est quasiment abandonné. Dans une crise de schizophrénie, il confond deux jeunes filles : Friederike, sa fiancée, et une petite morte. Devant la dépouille, son injonction « Lève-toi et marche ! » ne provoque que le silence de Dieu...d'où un vide que la belle et infinie Nature ne remplit que partiellement.

C'est cela que conte et chante Wolfgang Rihm dans son opéra de chambre en treize tableaux, marqué par le mouvement des Lumières, le fameux Sturm und Drang en terre germanique. L'esthétique du compositeur allemand – qui n'avait que 25 ans lorsqu'il écrivit son ouvrage – est très « hybride », tous les moyens à ses yeux étant justifiés dès lors qu'ils soutenaient l'expressivité de sa musique, souci prioritaire. Au nom de l'esthétique qu'on a appelé « la nouvelle simplicité », on voit que des suggestions de valses côtoient des chorals, voire des allusions jazzy, cependant que Mahler voisine avec Henze, et qu'on entend également des soupçons de musique répétitives, avec un frémissement minimaliste, notamment de la part des trois violoncelles. Très monotone et concentrée, cette partition n'exprime aucune diversité dramatique : nous sommes face au cas Lenz, un cas comme posé une fois pour toutes dans la mise en scène d'Andrea Breth, donnée ces jours derniers à La Monnaie de Bruxelles, après avoir été étrennée en début de saison à l'Opéra de Stuttgart, ville coproductrice du spectacle (avec la Staatsoper de Berlin).

La metteure en scène allemande – qui avait défrayé la chronique il y a deux saisons in loco avec une Traviata iconoclaste – semble avoir trouvé un fort écho personnel dans le destin de Lenz, elle qui a traversé une terrible dépression l'ayant obligée à interrompre un temps son activité artistique. Avec son scénographe Martin Zehetgruber, elle divise l'espace en deux parties, l'un tangible, l'autre mental, les deux étant tout aussi sinistres et anxiogènes. Mais son travail se caractérise d'abord par une extraordinaire direction d'acteurs reposant essentiellement sur les épaules de Georg Nigl (Jakok Lenz), qui porte à bout de bras le spectacle.

Cet extraordinaire baryton autrichien – qui renouvelle ce soir l'enchantement que son jeu et son chant avaient su susciter en nous lors de son incarnation du rôle-titre d'Orfeo au Grand-Théâtre de Luxembourg en décembre dernier - s'identifie de fait corps et âme à son personnage : il le vit littéralement de l'intérieur, jusqu'à l'épuisement, parfois traversés de cris ou de parenthèses falsettistes. Une performance qui a laissé pantois le public de La Monnaie ! Il est soutenu par Henry Waddington (Oberlin), basse d'une indiscutable puissance et présence, et par le ténor britannique John Graham Hall qui appelle les mêmes éloges dans le rôle de Kaufmann, juste après son bouleversant Peter Grimes à l'Opéra de Nice en début d'année.

A la tête de onze instrumentistes issus de l'Orchestre Symphonique de La Monnaie, le chef français Franck Ollu sait doser et filtrer une partition qui passe de l'aridité à la lisibilité mélodique et inversement, sans crier gare. Une mention, enfin, pour le formidable petit chœur (à six voix) qui représente l'étrangeté du monde et vient régulièrement ponctuer le calvaire du héros.

Des surtitres – rédigés à la fois en français, anglais et néerlandais – permettent au public (toujours très cosmopolite à La Monnaie) de saisir l'enfermement du poète dans la folie, éclaircissement indispensable pour bien appréhender l'ouvrage de Rihm. Et l'on se prend à penser que la brièveté de Jakob Lenz (environ 1h15) est, peut-être, ce qui handicape une tragédie qui s'achève lors même que l'on vient d'y pénétrer...

Emmanuel Andrieu

Jakok Lenz de Wolfgang Rihm au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles

Crédit photographique © Bernd Uhlig

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