Iphigénie en Tauride au Grand-Théâtre de Genève

Xl_iphig_nie © Carole Parodi

La programmation (d'une nouvelle production) d'Iphigénie en Tauride au Grand-Théâtre de Genève est une bonne surprise dans un contexte où l'œuvre de C. W. von Gluck se résume pour la majorité des théâtres hexagonaux comme internationaux à une surenchère de productions et reprises diverse de son Orphée et Eurydice.

Tobias Richter - patron de la maison helvétique - a confié le soin de la proposition scénique à Lukas Hemleb : le moindre que l'on puisse dire est qu'elle est déroutante. Le metteur en scène allemand dédouble ici chacun des protagonistes (ainsi que le Chœur - somptueux comme d'habitude) par des marionnettes grandeur nature, inspirées du Burunku japonais. Si l'élégance discrète des déplacements stylisés (signés par la chorégraphe Joanna O'Keeffe) de ces figurants ajoutent à la puissance évocatrice de la musique, on ne comprend pas en quoi le procédé éclaire le propos de l'opéra de Gluck. Et que penser de l'imposant décor (signé par Alexander Polzin) figurant les ruines d'un amphithéâtre qui disparaît dans les cintres au III, et dont la partie inférieure réapparaît au IV, avec des sortes de racines/stalactites desquelles s'égouttent un produit épais, jaunâtre et visqueux qui parasite la musique durant toute la fin de l'opéra, en s'écrasant comme autant de bouses de vache sur le plateau ?...

En fosse, Harmunt Haenchen dirige un Orchestre de la Suisse Romande admirable de précision et de versatilité. On retiendra, pêle-mêle, la sauvagerie des rythmes exotiques qui mettent fin au premier acte, l'éloquence des vents dans l'accompagnement du sublime air « O malheureuse Iphigénie », la véhémence agressive des cordes lors des plaidoyers d'Oreste pour contraindre sa sœur à le tuer en lieu et place de Pylade, ou encore la douceur inattendue des accents de la prêtresse dans son trio avec les deux prisonniers grecs... Haenchen souligne ici l'étonnante nouveauté d'un langage orchestral dont la variété des climats n'a rien à envier à celle d'un Mozart. En écartant toute trace de ce rigorisme marmoréen dans lequel on a voulu, dès le XIXe siècle, enfermer Gluck, le chef allemand rappelle fort opportunément que le génie du compositeur réside d'abord dans son sens inné de la mise en valeur du vers de la tragédie française ; dans une partition comme Iphigénie, le poids des mots est l'égal du pouvoir évocateur de la musique.

Et par bonheur, les interprètes réunis ce soir – hors Thoas – font preuve d'une même attention aux questions stylistiques. En alternance avec Anna Caterina Antonacci, c'est Mireille Delunsch qui incarne Iphigénie ce soir. Au début, la voix semble vouloir bouger, vibrer à l'excès, puis, très vite, s'affirme. Si l'on est peu séduit par le timbre (qui n'a jamais été beau) et même dérangé par quelques aigus criés, on est en revanche saisi par son investissement, par cette conception extrêmement forte et farouche du personnage, par son art de faire peser sur chaque phrase musicale la malédiction, l'effroi et la puissance.

Dans le rôle d'Oreste, la baryton italien Bruno Taddia offre un chant solide et une capacité à passer du registre héroïque à celui de l'émotion sans la moindre mièvrerie. Le contraste avec le timbre clair du ténor australien Steve Davislim, d'une admirable perfection musicale et stylistique, est source de beauté et d'émotion. Enfin, si la basse russe Alexey Thikhomirov déçoit en campant un Thoas tonitruant et peu stylé (il était autrement à sa place dans le rôle de Dossifeï dernièrement à l'Opéra de Flandre...), la soprano étasunienne Julianne Walker parvient sans peine à nous faire croire que la voix de Diane est d'origine divine...

Emmanuel Andrieu

Iphigénie en Tauride au Grand-Théâtre de Genève, jusqu'au 4 février 2015

Crédit photographique © Carole Parodi

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