Ian Bostridge bouleverse dans Le Voyage d'hiver de Schubert au Gstaad Menuhin Festival

Xl_bostridge © Emmanuel Andrieu

Une version du fameux Voyage d’Hiver (Der Winterreise) de Franz Schubert par un ténor ? C’est la bonne idée qu’a eu le Festival Menuhin de Gstaad en invitant l’excellent ténor Ian Bostridge à en donner une interprétation très émouvante, dans la très intime Eglise de Rougemont, plus adaptée à ce type de répertoire que l’immense tente du festival où l’on a entendu, deux jours plus tôt, un concert Wagner avec Jonas Kaufmann.

Les enregistrements légendaires de l’opus schubertien par Dietrich Fischer-Dieskau ont sans doute fait oublier que les vingt-quatre Lieder composant ce célèbre cycle tiré des poèmes de Wilhelm Müller ont une tonalité primitive qui s’adapte mieux à une voix plutôt aiguë que grave. L’œuvre, qui est une noire évocation de l’angoisse face à la mort, est ici parfaitement rendue par le ténor britannique : un drame sinistre se déroule sous nos oreilles, mais sans réelle morbidité. La diction de Bostridge ne verse en effet jamais dans l’épouvante gratuite, même si les accents menaçants d’un homme épouvanté par une fin imminente sont sans cesse présents. En changeant le ton, le ténor parvient aussi à donner vie aux différents éléments « naturels » invoqués dans le texte de Müller (le gel, un tilleul, l’aube, une rivière, une corneille etc.). Il y réussit à chaque fois, en déployant une voix à la fois souple et puissante, qui lui permet d’atteindre des cimes presque épiques, mais aussi de faire corps avec les parties les plus intimes, et ainsi bouleverser l'audience. On retiendra, parmi beaucoup d’autres moments, son « Auf dem Flusse » et les somptueux aigus de la dernière strophe, le « Frühlingstraum » avec son alternance douceur/sauvagerie dont Bostridge sait si bien jouer, ou encore « Der Wegweiser », auquel il confère un mystère aussi pénétrant que sa voix. Il est très bien aidé en cela par le pianiste Jan Schultsz qui montre un grand à-propos dans l’accompagnement, et qui, surtout, brille dans les ouvertures : c’est en effet au piano qu’incombe la tâche de déterminer, par quelques mesures d’introduction, ce qui sera la moelle intrinsèque de chacun des Lieder. Le pianiste hollandais en saisit parfaitement la quintessence, laissant entrevoir l’âme du chant qui va suivre. La seule déception de la soirée provient finalement du fait qu’il n’y a pas de traduction française des poèmes de Müller dans le programme de salle, ce qui aurait été utile pour les nombreux francophones présents dans l'église, qui ne maîtrisent pas forcément l’allemand, et qui auraient ainsi mieux pu percevoir le raffinement extrême de l’interprétation de Bostridge…

Un mot sur la soirée de la veille qui se présentait sous la forme d’un Ciné-Concert sous la tente du festival. En ce centenaire de la naissance de Leonard Bernstein, c’est West Side Story qui était projeté sur écran géant tandis que rien moins que l’Orchestre Symphonique de Bâle jouait la partition juste en dessous. Au-delà de l’émotion sans cesse renouvelée que procure ce chef d’œuvre absolu du cinéma, on rend également les armes face à la gageure parfaitement relevée par le chef Ernst van Tiel de coller au millimètre près le son et l’image pendant toute la durée du film...

Emmanuel Andrieu

Le Voyage d’Hiver de Franz Schubert au Gstaad Menuhin Festival (Eglise de Rougement)

Crédit photographique © Emmanuel Andrieu
 

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