Guerre et paix de Prokovief au XXIV Festival « Etoiles des nuits blanches » de Saint-Pétersbourg

Xl_war_and_peace © Valentin Baranovsky

Au lendemain d'une enthousiasmante représentation de Iolanta de Tchaïkovky au Théâtre Mariinsky I, c'est à une non moins exceptionnelle exécution de l'opéra-fleuve Guerre et Paix de Sergueï Prokovief que nous avons eu la chance d'assister, à la Salle de concert du Mariinsky cette fois, dans une version semi-scénique confiée à la metteure en scène russe Kristina Larina.

Composée entre 1942 et 1943, remise sur le métier pendant dix ans, dans l'espoir de désarmer l'hostilité de Jdanov, la magnifique partition du compositeur russe, avec ses treize scènes et ses 72 (!) personnages, semble avoir été conçue dans un élan de généreuse folie. On peut y voir une tentative de faire renaître de ses cendres le grand-opéra du XIXe siècle. On peut également y percevoir la volonté de Prokovief, de retour au pays après de nombreuses années passées en Occident, de recréer l'opéra national, puisant à la fois aux sources littéraires et historiques : les compositeurs russes du XIXe siècle se nourrissaient de Pouchkine. Prokovief, dans le même esprit, se plonge dans l'épopée de Leon Tolstoï, en tirant des quelques 1500 pages du roman une série de tableaux dramatiques autour de deux thèmes : les amours en temps de paix et les horreurs de la guerre. Comme dans Boris Godounov ou La Khovantchina, de brusques faisceaux de lumière arrachent les personnages à l'anonymat, les fragments du récit s'imbriquant les uns dans mes autres par le seul pouvoir d'un torrent de mélodies, d'harmonies et de timbres.

Malgré la relative exiguïté de la scène et la rareté des dégagements possibles, Kristina Larina réussit le tour de force de donner une vie très stimulante et une réelle unité à l'ensemble des tableaux. Parfaitement suivie par les chœurs (admirables de bout en bout !), les solistes et les figurants, elle fait une bien belle démonstration de manipulation de masses : un travail d'une vie et d'une précision qui forcent l'admiration, et qui ne sombre jamais dans la confusion. Avec, ici et là, quelques effets hollywoodiens, l'action se déroule sans cassure, admirablement mis en valeur par de superbes jeux de lumière conçus par Alexander Sivaev.

Comme la veille, la distribution - issue de la troupe du Théâtre Mariinsky - se révèle sans faille, révélatrice notamment de la jeune soprano bélarusse Violetta Lukyanenko, ravissante Natacha, à la voix franche, ample, facile sur toute l'étendue de la tessiture, bénie d'un timbre rayonnant. Elle fait preuve, en outre, d'une belle honnêteté d'interprète et d'un réel pouvoir d'émotion dans la scène finale. Dans le rôle du Prince Andreï Bolkonsky, le baryton ukrainien Alexander Malyshko enthousiasme également, en apportant au héros tolstoïen les inflexions idéalement romantiques du rêveur entraîné dans un conflit qui le dépasse. Doté d'une voix incroyablement sonore, le ténor russe Yevgeny Akimov aborde le rôle-clé de Pierre Bezukhov avec toute la sensibilité et la subtilité requises par son personnage. La basse pétersbourgeoise Pavel Shmulevich, confrontée à de longues stances patriotiques, est à la hauteur de l'enjeu. Son maréchal Koutouzov possède une vraie dignité, et la voix est coulée dans le bronze le plus pur. Vocalement et dramatiquement, on retient encore Alexander Mikhaïlov (Anatole Kouraguine), Yulia Matochkina (Sonya), Evgeny Ulanov (Vaska Denisov) ou encore l'impressionnant Napoléon de Vasily Gerello.

Initialement annoncé, Valery Gergiev se fait porter pâle et laisse finalement la baguette à Pavel Smelkov, qui dirigeait Iolanta la veille dans la salle « historique ». L'excellent chef russe parvient à mettre merveilleusement en exergue, derrière les réminiscences de Tchaïkovsky et Moussorgski, l'extraordinaire raffinement de l'orchestration, comme la vigueur du contraste entre les moments idylliques et les scènes de combat.

Une grande soirée de musique russe !

Emmanuel Andrieu

Guerre et paix de Sergueï Prokovief à la Salle de concert du Mariinsky, le 14 juin 2016

Crédit photographique © Valentin Baranovsky

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