Don Giovanni au Festival d'été de Salzbourg

Xl_don_giovanni © WILBID

C'est une nouvelle production de Don Giovanni – confiée aux bons soins de Sven-Eric Bechtolf (patron intérimaire de la manifestation autrichienne) - qui a ouvert la 94ème édition du Festival d'été de Salzbourg. Elle remplace la formidable proposition scénique de Claus Guth - donnée en 2008, 2010 et 2011 - que l'on pourra regretter. L'homme de théâtre allemand transpose l'action dans le hall d'un Grand hôtel (art déco), pendant l'entre-deux guerre, idée qu'avait déjà cependant exploitée Keith Warner avant lui, c'était au Theater An der Wien en 2006. S'il s'avère très esthétique, le décor unique en bois lambrissé de Rolf Glittenberg ne permet pas, quant à lui, de situer les différents lieux de l'action, ajoutant à la confusion constatée sur le plateau.
Car que penser des deux premières scènes ? La première nous montre Donna Anna tuant son propre père par erreur (guidée par la main du héros) en voulant le protéger des fureurs de Don Giovanni. Comment ensuite rendre plausible son étonnement de découvrir le Commandeur dans une marre de sang puisque c'est elle-même qui lui a porté le coup fatal ? La scène d'après nous montre Leporello se plaindre des vicissitudes de son existence (« mal mangiar e mal dormir ») tandis qu'il est confortablement installé dans un grand fauteuil en cuir, au bar de l'hôtel, un cigare à la main et une bonne bouteille devant lui...!
Cela posé, une fois les incongruités du début de soirée oubliées, Bechtolf s'avère un remarquable directeur d'acteurs, et l'on retiendra quelques scènes fortes, telle celle où Don Giovanni convoite une des serveuses alors même qu'il est en train de promettre monts et merveilles à Zerlina (« La ci darem la mano »). Son énergie pure et sa force de vie sont d'ailleurs telles que le réalisateur le fait ressusciter pendant le sextuor final, où l'on voit le fameux séducteur se remettre à lutiner la serveuse que nous venons d'évoquer...

La basse italienne Ildebrando d'Arcangelo campe un impressionnant Don Giovanni, avec une force de conviction et une aisance scénique peu communes. L'acteur concilie charme ravageur, brusques explosions sarcastiques et fatal appétit de chair, qui caractérisent ce héros hors-norme. Il est aussi un modèle de musicalité, parfait de goût et de style, même si la fameuse sérénade « Deh, vieni alla finestra » n'est pas délivrée avec les demi-teintes escomptées.

Quant à son compatriote Luca Pisaroni, il est certainement l'un des Leperello les plus convaincants du moment, grâce à sa musicalité sans faille, une voix bien conduite, et un jeu empreint de naturel et de spontanéité. Le Don Ottavio du ténor britannique Andrew Staples ne possède malheureusement pas un timbre très flatteur, mais il se montre d'une grande souplesse et bénéficie de phrasés toujours soignés. Son incroyable souffle marque l'auditoire dans le célèbre « Il mio tesoro ». Spontané et vigoureux le Masetto d'Alessio Arduini aux côtés du robuste et sonore Commandeur de Tomasz Konieczny.

Côté féminin, la soprano allemande Anett Fritsch nous enchante par la chaude, sensuelle et douloureuse humanité qu'elle confère à Donna Elvira, tandis que la chanteuse moldave Valentina Nafortina donne une Zerlina idéale de charme et de vivacité, avec des moyens plus opulents que d'ordinaire dans cette partie. En revanche, la Donna Anna de Lenneke Ruiten – en remplacement de Genia Kühmeier initialement annoncée – déçoit. La voix s'avère bien trop petite pour ce personnage, dont elle ne possède ni la tessiture, ni les vocalises, pas plus que l'élan dramatique .

Déjà présent en fosse l'été dernier pour Cosi fan tutte (Bechtolf et lui concluront une trilogie Da Ponte avec Les Noces de Figaro l'an prochain), le chef allemand Christoph Eschenbach retrouve donc les Wiener Philharmoniker dans la fosse de la Haus für Mozart...sans convaincre davantage (il avait été hué aux saluts l'an passé). Beaucoup trop statique et lente, sa direction ne confère guère de lyrisme ni de dramatisme à la sublime partition du génie de Salzbourg.

Emmanuel Andrieu

Don Giovanni au Festival d'été de Salzbourg, jusqu'au 18 août

Crédit photographique © WILDBID

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