Don Giovanni au Festival de Glyndebourne

Xl_dg © Bill Cooper

Au surlendemain d'une superbe nouvelle production du Chevalier à la Rose, nous avons eu la chance d'assister - lors de cette édition 2014 du Festival de Glyndebourne - à une reprise du Don Giovanni imaginé par Jonathan Kent en 2010, spectacle qui fut repris l'année suivante. Le célèbre metteur en scène britannique n'est pas – à l'instar de beaucoup de ses confrères – un provocateur, et il s'est contenté ici d'actualiser le livret, en situant l'action dans la Rome Fellinienne de La Dolce vita. Il fait ainsi du héros un double du journaliste à scandale immortalisé par Marcello Mastroianni (même écharpe, costume et lunettes noires), accompagné de son inséparable et crapuleux Paparazzo (Leporello) : le fameux catalogue est ici remplacé par deux classeurs contenant des photos Polaroïd des conquêtes de Don Juan. Donna Elvira est assimilée à l'amante névrosée de Mastroianni dans le film, Zerlina – blonde et la cuisse légère – ne pense qu'à la bagatelle, et Donna Anna se montre écartelée entre ses pulsions et sa foi religieuse. Paul Brown a réalisé un étonnant décor, sorte de grande boîte mobile qui s'ouvre et se transforme pour évoquer, au I, des lieux inattendus de la Rome des années cinquante, avant de se déstructurer tout à fait en un amas de poutres et de passerelles parmi lesquelles les chanteurs ont bien du mérite à se mouvoir. La scène finale, qui respecte la dimension métaphysique de l'ouvrage, nous dévoile la table de souper de Don Giovanni dressée sur le tombeau même du Commandeur qui, dans un état de putréfaction avancée, surgit soudain d'en dessous, pour mieux y retourner, mais avec sa victime cette fois...!

De toute évidence, le jeune chef colombien Andrès Orozco-Estrada – premier chef invité du London Philharmonic Orchestra (dans la fosse ce soir) - a travaillé main dans la main avec Lloyd Wood, à qui on a confié la reprise : tendue, nerveuse, hautement dramatique, sa lecture est en osmose avec les sonorités de la célèbre phalange londonienne.

Quant à la distribution vocale, elle enthousiasme en tous points. A commencer par le baryton canadien Elliot Madore qui incarne avec une plénitude et une intelligence exemplaires le personnage équivoque de Don Giovanni, avec un physique idéal pour le rôle, et une voix à l'intonation claire et homogène sur l'ensemble de la tessiture. Modèle de musicalité, parfait de goût et de style (superbes demi-teintes dans « Deh, vieni alla finestra »), d'une superbe intelligibilité dans les récitatifs, il s'affirme comme un excellent titulaire de ce rôle mythique.

Le ténor britannique Ben Johnson est acclamé par le public pour son Don Ottavio auquel il confère musicalité, ampleur de phrasé et expressivité. Il est donc à regretter qu'on ampute sa partie du fameux « Il mio tesoro », même si l'auditeur peut entendre ce soir, en revanche, le duo Zerlina/Leporello, généralement coupé. De son côté, le baryton français Edwin Crossley-Mercer – dernièrement applaudi dans le rôle-titre à l'Opéra de Dijon -, campe un Leporello rusé plus que bonhomme, avec une voix bien conduite (mais au volume cependant limité) et une musicalité affirmée. Brandon Cedel confère mordant et hargne à Masetto, tandis que la basse ukrainienne Taras Shtonda apporte au Commandeur la voix de stentor qui lui sied.

Les solistes féminines n'ont rien à envier à l'équipe masculine. Dans le rôle de Donna Anna, la soprano canadienne Layla Claire distille une sensualité et une incandescence remplies de sens tragique qui soulève l'enthousiasme. La voix, fine et haut placée, sait aussi se parer de couleurs plus sombres, et la projection est exemplaire. La classe technique de la cantatrice est manifeste dans « Non mi dir », tant pour le cantabile que pour d'impeccables coloratures, ou dans sa capacité à planer au dessus du « trio des masques ». En Elvira, la soprano italienne Serena Farnocchia fait preuve d'un remarquable engagement dramatique, qu'elle renforce par des aigus aussi sûrs que percutants. Enfin, la tchèque Lenka Macikorova offre au personnage de Zerlina sa fraîcheur, sa pétulance, et sa délicate musicalité.

Un triomphe - amplement mérité - est fait à l'ensemble de l'équipe artistique au moment des saluts.

Emmanuel Andrieu

Don Giovanni au Festival de Glyndebourne, jusqu'au 1er août 2014

Crédit photographique © Bill Cooper

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