Cosi fan tutte à l'Opéra National de Montpellier

Xl_mga_5729 © Marc Ginot

Après avoir monté in loco, la saison passée, Don Giovanni et Le nozze di Figaro, Jean-Paul Scarpitta clôt sa Trilogie Mozart / Da Ponte avec Cosi fan tutte - qu'il a choisi de dédier à la mémoire du grand et feu Patrice Chéreau. On retrouve l’élégance et la nudité qui sont la griffe coutumière de l'ex-directeur de l'Opéra national de Montpellier (Scarpitta reste en poste jusqu'en juillet prochain, mais c'est désormais Valérie Chevalier-Delcourt, nommée il y a tout juste un mois, qui préside désormais la destinée de l'institution languedocienne) : les deux actes nous présentent un plateau entièrement nu, seulement animé par de superbes éclairages bleutés, signés par le fidèle Urs Schönebaum.

Alors que l'on voit se multiplier les mises en scènes cherchant leurs marques par le truchement d'adaptations modernistes décevantes, cette approche apparemment simple (simpliste pour certains...), classique et d'une sobriété à tous égards réconfortantes, en dit long sur la fatuité des productions truffées de symboles grotesques et d'accessoires superflus. Nul besoin, en effet, d'en rajouter pour donner du corps et de l'âme aux six héros de la comédie douce-amère de Mozart. La volonté de dessiner sans fausse pudeur les caractères, de respecter la progression du récit, de s'ouvrir à la versatilité pour ne pas dire à l'ambiguïté des sentiments, sont les clefs du travail de Scarpitta. Grâce à une direction d'acteurs millimétrée, qui est vrai un régal pour l'esprit, il organise et examine avec une acuité jubilatoire les vicissitudes de ces amants pris à leur propre piège et confrontés à l'ambivalence de leur désir. L'extrême neutralité de la scénographie – qu'il signe lui-même, ainsi que les magnifiques costumes – sollicite sans relâche l'attention, et c'est bien l'un des tours de force de ce spectacle - dont on donne ici l'intégralité de la partition (soit près de quatre heures avec l'entracte).

Côté chant, le plaisir est au rendez-vous, hors pour deux personnages. Soprano « chouchou » de Jean-Paul Scarpitta, l'italienne Erika Grimaldi – qui a  interprété in loco, entre autres rôles, celui de La Comtesse des Noces – campe une Fiordiligi de belle véhémence. La voix, d'une grande souplesse et d'une pénétrante couleur (en dépit de quelques aigus métalliques) se déploie avec assurance sur toute la tessiture (même si le grave gagnerait à s'étoffer). Et si phrasés et vocalises sont également perfectibles - l'artiste est jeune encore -, elle s'affirme comme une chanteuse à suivre.

La jeune montpelliéraine Marianne Crebassa est loin d'être en reste, et s'affirme même comme un talent non pas en devenir, celui-ci s'avérant déjà consommé. Galvanisée, elle ne se fait pas prier pour épouser les ardeurs de la vibrionnante Dorabella, et chacune de ses apparitions est un vrai régal. Son mezzo extraverti et charnu sa diction impeccable et sa projection souveraine sont autant de cadeaux que l'artiste offre au public. De son côté, la talentueuse Virginie Pochon dessine une Despina rayonnante de fourberie.

Nous serons, en revanche, beaucoup plus réservé quant aux rôles masculins, à commencer par l'Alfonso fatigué, avec un vibrato particulièrement envahissant, de la basse espagnole Antonio Abete. Si le Guglielmo d'Andrè Schuen (qui incarnait le rôle de Don Giovanni dans la production de Scarpitta l'an passé) n'appelle pas de réels reproches, en dépit de quelques saturations dans le haut du registre, il en va tout autrement du Ferrando poussif et gauche, à la ligne heurtée et à la justesse approximative du ténor Wesley Rogers (qui campait lui le personnage de Belmonte de L'Enlèvement au Sérail, toujours in loco, la saison dernière), dont le célèbre et magnifique « Un'aurora amorosa  » est littéralement anéanti par un souffle court et une intonation impossible.

Quant à la direction du chef britannique Alexander Shelley, à la tête des forces vives de l'Opéra de Montpellier, elle surprend agréablement. Précise, élégante et nerveuse, elle éclaire parfaitement cette métaphysique des sentiment, sans négliger la composante théâtrale.

Emmanuel Andrieu

Cosi fan Tutte à l'Opéra national de Montpellier

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