Candide de Leonard Bernstein fait jubiler l'Opéra de Lausanne

Xl_candide_de_bernstain___l_op_ra_de_lausanne © Jean-Guy Python

Quand le public éclate de rire, sans attendre le surtitre quand un opéra est chanté en langue originale, c’est que le spectacle est réussi. Tel est le premier compliment qui s’impose pour ce Candide de Leonard Bernstein à l’Opéra de Lausanne, proposé par Eric Vigié dans une mise en scène de son metteur en scène fétiche Vincent Boussard (aux côtés de Stefano Poda), provenant de l’Opéra de Vilnius en Lituanie. Et le directeur de l’institution vaudoise a eu la main heureuse en tombant sur le Narrateur de Mike Winter. Ce Monsieur loyal en frac et à l’humour corrosif multiplie les allusions (en aparté) à notre monde actuel, toujours embourbé dans les mêmes problèmes de guerres et d’épidémies (« Poutine » et le « Covid » sont évoqués), que décrivait déjà Voltaire dans son conte satirique et dont il n’est peut-être pas inutile de rappeler la trame. Candide, fils bâtard du Baron Thunder-Ten-Tronckh, a grandi dans leur château de Westphalie. Il aime Cunégonde, la fille du Baron, et n’est pas loin de partager l’avis de Pangloss, le précepteur de la maison, qui estime vivre dans le meilleur des mondes possibles. Surpris alors qu’il embrasse sa cousine, il est chassé du château. Commencent alors des aventures qui le mènent successivement sur un champ de bataille, à Lisbonne où l’on brûle des hérétiques, à Paris, à Buenos Aires, dans une mission jésuite, au cœur d’un Eldorado précolombien, au Suriname, sur un bateau retournant en Europe et finalement dans une petite ferme proche de Venise. Au fil de ses péripéties, il croise plusieurs fois Pangloss, toujours aussi optimiste ; Maximilien, le fils du Baron ; Pâquette, la servante ; et n’en finit pas de perdre et de retrouver Cunégonde qui, en compagnie d’une Vieille Dame, a depuis longtemps perdu sa vertu et ses illusions. Les jeunes gens décideront pourtant, au terme de leurs aventures, de vivre ensemble en cultivant leur jardin, conscients qu’ils ne sont tous deux « ni purs ni sages ni bons ».

Si la soirée est un constant enchantement, c'est que chaque élément du spectacle contribue à sa réussite. Le décor unique du fidèle Vincent Lemaire propose une sorte d’arène blanche que surplombe le chœur (élégamment habillé de tenues vénitiennes du XVIIIe signées par Christian Lacroix) qui observe de son piédestal les péripéties des personnages en contrebas. On retrouve la baignoire qu’affectionne tant le metteur en scène (clou de son Hamlet à Marseille en 2010, mais également repris in loco en 2017) : elle sert de lieu de rencontre aux deux héros et s’envolera dans les airs lors de leur départ pour les Amériques, note poétique et touchante au milieu d’autres plus prosaïques ou glaçantes, telle cet image finale où Candide et Cunégonde ne finissent pas dans un joli potager vénitien, comme le veut le livret… mais dans un froid et austère hôpital psychiatrique, Vincent Boussard ne semblant pas partager l’optimisme revendiqué par Voltaire !

Dans le rôle-titre, le jeune ténor finlando-étasunien Miles Mykkanen s’avère en mesure de traduire toute la poésie mélancolique du héros voltairien, de son timbre suave mais capable autant de puissance que d’infinie douceur, comme dans le bouleversant « Nothing more than this ». Un mois après son triomphe à l’Opéra de Florence en remplaçant au pied levé Cecilia Bartoli dans le rôle-titre d’Alcina, la soprano lausannoise Marie Lys triomphe à nouveau sur scène, « à domicile » cette fois. Elle n’a aucune peine à donner tout son éclat au célèbre « Glitter and be gay » de Cunégonde, cette parodie des airs de cocottes de l’opéra-comique à la fin du XIXe siècle, et joue un personnage ne perdant jamais son aplomb malgré ses affreuses vicissitudes. La vétérane Anna Steiger incarne avec drôlerie la Vieille Dame qui en voit, elle aussi, de toutes les couleurs, et dont l’air « I am easily assimilated » fait crouler le public de rire. De son côté, l’excellent baryton-basse américain Franco Pomponi campe ses trois rôles de Pangloss, Martin et Cacambo avec une drôlerie lugubre, et une voix qui n’a rien perdu ni de sa séduction ni de son éclat. Les autres rôles sont impeccablement tenus par des interprètes endossant souvent plusieurs personnages, à l’instar de de Joël Terrin et Stuart Patterson, qui méritent une mention.

Inspiré par l'esprit vengeur de Voltaire, Bernstein a composé une partition d'une richesse, d'une inventivité et d'un humour toujours aux aguets. Les personnages principaux ont ainsi droit chacun à leur thème, qui revient comme une signature pour souligner les moments privilégiés. Les duos entre Cunégonde et Candide font la part belle à l'émotion et les scènes de foule (superbe Chœur de l'Opéra de Lausanne parfaitement préparé par Patrick-Marie Aubert !) sont traitées avec lyrisme. Bien que l'orchestre ne soit pas pléthorique, Bernstein l'utilise avec une telle habileté que les contrastes et les changements d'atmosphère se succèdent à un rythme trépidant. Emporté par le plaisir de faire découvrir cette œuvre savoureuse au public suisse, le chef américain Gavriel Heine dirige l'Ouverture en se chaloupant, et reste attentif la soirée durant aux nuances d'une partition chatoyante, nous entraînant au gré de rythmes endiablés.

D’innombrables rappels viennent couronner et plébisciter la soirée !

Emmanuel Andrieu

Candide de Leonard Bernstein à l’Opéra de Lausanne, jusqu’au 20 novembre 2022

Crédit photographique © Jean-Guy Python

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