Candide à l'Opéra national de Lorraine

Xl_candide_op_ra_national_de_lorraine__1_ © Opéra national de Lorraine

Plutôt que de proposer une sempiternelle opérette d'Offenbach pour les fêtes de fin d'années, Laurent Spielmann et Valérie Chevalier – directrice artistique de la maison lorraine, fraîchement promue directrice de l'Opéra Orchestre National de Montpellier – ont choisi de retenir le rare et désopilant Candide de Leonard Bernstein.

Passant de son état de conte contre le fanatisme aux scènes américaines, le texte de voltaire a connu quelques avatars. La première qui eu l'idée de porter Candide au théâtre fut Lilian Hellmann, une écrivaine de gauche connue pour sa pièce Les Petits renards. Leonard Bernstein fut séduit par l'initiative de la femme de lettres : pour écrire les paroles chantées, il collabora avec elle, ainsi qu'avec la célèbre humoriste Dorothy Parker, John La Touche et Richard Wilbur. Créée en 1956 à Boston et New York, l'œuvre fut reprise avec des changements pour arriver, en 1973, à un acte unique, sur un livret de Hugh Wheeler et des Lyrics de Stehen Sondheim. Nouvelles modifications ensuite, aboutissant à deux actes. Finalement, Bernstein supervisa une ultime version réalisée par le chef d'orchestre John Mauceri et l'enregistra, peu avant sa mort, avec Jerry Hadley et June Anderson. C'est cette version qui est reprise à l'Opéra national de Lorraine.

Si la soirée est un constant enchantement, c'est que chaque élément du spectacle contribue à sa réussite. Inspiré par l'esprit vengeur de Voltaire, Bernstein compose une partition d'une richesse, d'une inventivité et d'un humour toujours aux aguets. Les personnages principaux ont droit à leur thème, qui reviennent comme une signature pour souligner les moments privilégiés. Les duos entre Cunégonde et Candide font la part belle à l'émotion, et les scènes de foules (superbe chœur de l'Opéra national de Lorraine) sont traitées avec lyrisme. Bien que l'orchestre ne soit pas pléthorique - cordes, percussions, cuivres, une harpe, un hautbois, un basson, deux clarinettes, deux flûtes -, Bernstein l'utilise avec une telle habileté que les contrastes et les changements d'atmosphère se succèdent à un rythme trépidant. Emporté par le plaisir de faire découvrir cette œuvre savoureuse au public lorrain, le tout jeune chef américain Ryan McAdams, à la tête d'un orchestre maison dans une forme olympique, dirige l'Ouverture en se chaloupant ; par la suite, il s'extériorise moins et reste attentif aux nuances d'une partition chatoyante, nous entraînant au gré de rythmes endiablés.

Magnifiquement secondé par le décor ingénieux d'Annemarie Woods et l'inventivité des costumes d'Anna Fleischle, Sam Brown - signataire d'une remarquable production de The Importance of being earnest (opéra de Gerald Barry, d'après l'œuvre éponyme d'Oscar Wilde, créé in loco en mars dernier) propose un travail huilé comme un mécanisme d'horlogerie. L'homme de théâtre britannique imagine ainsi une mise en scène qui, tout en regorgeant de gags cocasses, illustre avec clarté – bien que transposée – les milles et un rebondissements de l'action. Il réussit surtout l'exploit de maintenir la tension dramatique du récit la soirée durant, en même temps que l'intérêt du spectateur. Sam Brown déplace l'histoire du XVIIIe siècle dans l'Amérique conquérante et intolérante des années cinquante, en trouvant un contrepoint étasunien à chaque ville européenne traversée par le héros au cours de ses pérégrinations : ainsi Lisbon est aussi une cité de l'Iowa, mais il existe également une Cadiz dans l'Ohio, ou encore un Paris au Texas (qu'on se remémore le fameux film de Wim Wenders). Ces différents lieux apparaissent d'ailleurs tour à tour, via des incrustations vidéos, sur une immense carte des Etats-Unis qui, placée en fond de scène, constitue le principal élément scénographique du spectacle.

Des chanteurs, il obtient des performances de comédiens. Avec Chad Shelton (Candide) et Ida Falk Winland (Cunégonde) - déjà présents sur l'opéra de Barry -, le duo principal se distingue par son charme, par un chant précis, nuancé, qui donne une impression de naturel et de facilité. La soprano suédoise livre un « Glitter and be gay » étourdissant de virtuosité, avec des aigus stratosphériques. Les autres rôles sont tenus par des interprètes plein de verve, qui savent se démultiplier en incarnant chacun plusieurs personnages : mention spéciale pour l'anglais Michael Simkins – l'acteur s'avérant aussi accompli que le chanteur - dans le quadruple rôle de Voltaire, Pangloss, Martin et Cacambo, mais aussi pour Kevin Greenlaw, Maximilien plein de fougue, et Beverley Klein, Vieille dame à l'impayable gouaille.

Bref, une nouvelle réussite éclatante pour l'Opéra national de Lorraine !

Emmanuel Andrieu

 

Candide à l'Opéra national de Lorraine

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