Trois Contes à l’Opéra de Lille : l’impossible opéra-livre de Gérard Pesson

Xl_trois-contes-23-02-19-simon-gosselin-20 ©Simon Gosselin

Alors que l’Opéra de Paris poursuit une politique de création à partir de classiques de la littérature française, l’Opéra de Lille présentait un Objet Lyrique Non Identifié signé Gérard Pesson. Première surprise : ces Trois Contes ne sont pas ceux de Flaubert, mais trois épisodes disparates et dissonants, assemblés par les bons soins du livret. Deuxième surprise : le compositeur français, figure discrète mais influente de la musique contemporaine française, s’associe à l’homme de théâtre David Lescot pour offrir un spectacle à l’humour ravageur.


Trois Contes, Enguerrand de Hys, Camille Merckx (c) Simon Gosselin


Trois Contes, Marc Mauillon (c) Simon Gosselin

Le premier conte est, de loin, le plus réussi des trois. Tiré de La Princesse au petit pois d’Andersen, le livret nous embarque d’emblée dans un monde de pastiche et de références. Dirigé par Georges-Elie Octors, l’Ensemble Ictus magnifie la musique de Gérard Pesson, étourdissant déluge de citations couvrant plusieurs siècles de répertoire. On aura une bonne idée de la virtuosité avec laquelle le compositeur marie les allusions lorsque sur la trame instrumentale de Pelléas et Mélisande se greffe la partie vocale de L’Enfant et les Sortilèges (Debussy et Ravel sont omniprésents dans l’ouvrage). Reprenant le principe des Exercices de Style chers à Queneau, le premier conte donne à entendre plusieurs fois une même scène. Un roi, une reine, un prince, une princesse factice ou véritable et de nombreuses possibilités lyriques, comme autant de clichés à désamorcer. Déclamation blanche, épisodes bruités, tics de comédie musicale, citations d’Ainsi parlait Zarathoustra de Strauss… Pesson explose les conventions et ressuscite l’opéra-comique à tous les sens du terme. On croirait entendre une opérette d’Offenbach, qui ferait allusion dans un esprit résolument moderne à Un homme et une femme de Francis Laï comme aux Rita Mitsouko.

Pourtant, la mécanique se grippe rapidement. Avec ces zébrures instrumentales, ces flashs brillants (l’érudition musicale de Pesson est phénoménale et défie l’analyse), on songe à la musique de Philippe Boesmans, dont les opéras (notamment Yvonne Princesse de Bourgogne représentée la saison prochaine à l’Opéra de Paris) convoquent également les grands modèles des siècles précédents. Mais là où Pesson rend hommage, le compositeur belge parvient, lui, à transcender ses références en y apportant plus d’humanité, de théâtre et de personnalité. Il y a ainsi très peu d’action dramatique dans le deuxième conte, inspiré par Le Manteau de Proust de Lorenza Foschini, si ce n’est une volonté d’illustrer, parfois de façon quasi scolaire, l’amour du compositeur français pour A la recherche du temps perdu. La scénographie virtuose de David Lescot multiplie les séquences cinématographiques comme autant de saynètes explicatives. De même, la volonté de Pesson de créer un opéra-livre se matérialise sur scène dans le troisième conte, avec un gigantesque ouvrage broché qui symbolise le village du Diable dans le Beffroi de Poe. Un récitant (Jos Houben en méforme) ne parvient guère à animer ce finale qui tombe à plat et s’apparente à une pièce de musée.

Saluons toutefois l’Opéra de Lille d’avoir risqué cette proposition excitante, d’autant que l’équipe vocale est superlative. On connaît depuis longtemps l’abattage comique et le timbre envoûtant du baryton Marc Mauillon, ainsi que la pureté piquante de la Maïlys de Villoutreys. L’excellence de Melody Louledjian, ainsi que les charismatiques Enguerrand de Hys (en Prince) et Camille Merckx (en Reine) qui brûlent les planches scéniquement et vocalement, apparaissent également en pleine lumière.

Laurent Vilarem
(Lille, 12 mars 2019)

À noter que pour se forger son propre avis sur cette création des Trois Contes de Gérard Pesson est captée et retransmise sur la plateforme Operavision. L'oeuvre est diffusée en direct le 14 mars à partir de 20h et restera disponible en ligne jusqu'au 13 septembre 2019. La production doit également être retransmise par la radio France Musique, le 24 avril à 20h, dans le cadre de l'émission Le Concert du soir.

Crédit photos : Simon Gosselin

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