Mort à Venise renaît à la Deutsche Oper de Berlin

Xl_death-in-venise-deutscheoper-2017c © 2017, Marcus Lieberenz

Cette nouvelle production de Mort à Venise à la Deutsche Oper rétablit une vérité : l'opéra de Britten est une meilleure adaptation de la nouvelle de Thomas Mann que le film de Visconti. Les thuriféraires cinéphiles pourront bien arguer de la musique de Mahler et du visage éploré de Dirk Bogarde ; il n'en demeure pas moins que l'opéra du compositeur britannique épouse admirablement les enjeux philosophiques de la nouvelle originelle et dépasse la vision univoque d'une homosexualité refoulée  que revêt le film.


Death in Vesnie © 2017, Marcus Lieberenz


Death in Vesnie © 2017, Marcus Lieberenz

Il y a même quelque chose d'émouvant dans le retour rétrospectif d'un Britten mourant sur les traces de son premier opéra, Peter Grimes. La sereine lagune vénitienne a remplacé ici le petit village de pêcheurs du Suffolk. Et dans l'opéra de 1973, le héros est isolé, mais à la différence de Grimes, c'est afin  de  profiter de sa passion interdite pour le jeune Tadzio. La mise en scène de Graham Vick aborde de front les principales problématiques de cette œuvre majeure. La mort, partout présente, est représentée dès le lever de rideau par un enterrement (dont on apprendra à la fin qu'il s'agit de celui du jeune homme) dans un décor d'un vert éclatant. La scénographie et les déplacements sont d'une grande économie de moyens. Avec quelques jeux de lumière, on oscille entre le paysage mental d'un homme malade, et l'authentique description d'une Venise rongée par les eaux. C'est ici que la musique de Britten impressionne le plus : les trouvailles instrumentales sont sidérantes, et l'influence du gamelan balinais (que le compositeur a découvert dans les années 50) pour dépeindre les jeux ambigus des adolescents sur la plage, offrent de superbes moments suspendus, admirable lâcher-prise de la part d'un compositeur aux prises avec la mort.

Tout en restant relativement classique, la mise en scène de Graham Vick ne ferme pas non plus les yeux sur la dimension sulfureuse et potentiellement répréhensible de l'histoire avec un énorme « Achtung » maculant le fond de scène de la deuxième partie. L'apparition de la peste symbolisera ici la tension entre Apollon (le contreténor Tai Oney) et Dyonisos, entre corps juvénile et corps malade,  entre frustration et assouvissement d'un désir impossible.

C'est précisément cette franchise dans la confession qui rend le spectacle aussi poignant. Graham Vick place un piano sur scène pour les nombreux récitatifs d'inspiration baroque où le héros Gustav van Aschenbach s'adresse à nous pour exposer ses interrogations. Le ténor Paul Nilon (magnifique de fragilité) se tient ainsi au plus près d'un texte, comme pour un récital de mélodies, artifice sans lequel l'intrigue pourrait paraître statique et grandiloquente. Tous les chanteurs et figurants accentuent cette proximité avec une histoire qui touche l'universel. Ainsi en va du groupe de jeunes danseurs emmené par le Tadzio de Rauand Taleb ou du baryton Seth Carico, à l'imparable instinct scénique et d'une phénoménale présence physique. Dans la fosse, le chef écossais Donald Runnicles apporte un lyrisme tendu à une musique qui oscille entre fêlure crépusculaire et explosion de couleurs.

C'est le quatrième opéra de Britten monté à la Deutsche Oper depuis 2013, et d'ores et déjà un événement de la saison berlinoise. Car une autre vérité est à rétablir sur Mort à Venise : la musique du compositeur britannique apporte une dimension supplémentaire à la nouvelle de Thomas Mann. Britten y a peut-être écrit son chef-d'oeuvre.

Laurent Vilarem
22 mars 2017

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