Des Éclairs intermittents à l’Opéra Comique

Xl_les_eclairs-opera-comique_2021 © DR

On attendait beaucoup de ces Éclairs de Philippe Hersant. Troisième opéra du compositeur français, l’ouvrage créait l’événement de la saison de l’Opéra Comique par son association avec Jean Echenoz. L’écrivain français (Prix Goncourt 1999 pour Je m’en vais) adapte en effet son roman Des éclairs en un livret totalement original. A l’heure où l’Opéra de Paris propose ces dernières années des créations autour de grands classiques de la littérature française, et après la brillante réussite de l’association Francesco Filidei / Joël Pommerat dans L'Inondation, il faut saluer la volonté de l’Opéra Comique de créer des mondes lyriques modernes et neufs !

Les Eclairs racontent la trajectoire de Gregor, un personnage inspiré de l’inventeur Nikola Tesla. Trajectoire insolite, à la manière d’un rise and fall, qui verra le héros triompher dans le New York du début du vingtième siècle avant de connaître une fin de vie miséreuse. L’un des aspects les plus forts du spectacle consiste dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger. Aidé de la décoratrice Aurélie Maestre, le dramaturge réussit un brillant portrait de la métropole américaine. Les buildings se construisent à mesure que les scènes s’enchaînent. Les techniciens déplacent les décors sous nos yeux, offrant une belle mise en abyme de l’espace théâtral. L’autre grande triomphatrice de la soirée est la direction d’Ariane Matiakh. A la tête d’un séduisant Philharmonique de Radio France, la cheffe d’orchestre impressionne par son engagement et son sens dramatique. Les couleurs fusent avec profusion de la fosse musicale.

Toutefois, les deux heures de spectacle des Éclairs gardent un sentiment d’inabouti. Le livret d’Echenoz séduit tout d’abord par sa fluidité. Les trouvailles abondent, les mots rares claquent, la technicité du langage de l’écrivain passe admirablement la rampe lyrique, les scènes jouent avec les codes de l’opéra et sabotent les alexandrins avec une ambiguïté réjouissante. Même ligne claire du côté de la musique, Philippe Hersant s’éloigne de toute querelle esthétique. Au détour de clins d'œil à Dvorak, Holst ou John Williams, tout est mouvement dans cette partition foisonnante. Le compositeur sait admirablement écrire pour la voix.  Au détour de longues conversations chantées, surgit soudain un détail vocal ou instrumental accrocheur. Celui qui est considéré comme l’un des maîtres de la musique chorale réserve également de beaux passages au chœur Aedes. La première partie est ainsi un régal, une sorte de Tintin lyrique, dont le Professeur Tournesol serait le héros, figure de l’artiste excentrique rattrapé par la société. On croit le spectacle léger, il s’avère en réalité d’une noirceur absolue. On le croit désuet, il provoque par sa critique contemporaine du profit et du dévoiement de la science. Une drôle de comédie triste ou de drame joyeux (c’est le sous-titre des Eclairs) emmené par une troupe de chanteurs enthousiasmante. Dans le rôle de Gregor, Jean-Christophe Lanièce possède le charme physique et l'innocence lunaire requis par le rôle, Jérôme Boutillier est un très gouleyant Parker, François Rougier brosse un touchant portrait de Norman, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur fascine par son ampleur scénique, mais les héros sur scène sont peut-être Elsa Benoit, délicieuse journaliste du New York Herald et surtout André Heyboer, qui impose un magistral portrait d’Edison, terrifiant inventeur / entrepreneur sans scrupule.

Mais l’opéra achoppe, hélas, dans sa seconde partie, curieusement par la faute du livret. Si l’action se passe au début du vingtième siècle, Jean Echenoz échoue dans une vision étrangement passéiste des femmes. Tantôt muses, tantôt admiratrices, les personnages féminins gravitent autour de leurs homologues masculins sans pleinement exister. Dommage également que l’homosexualité reste un impensé du personnage principal ou que le portrait de l’asexualité de Gregor soit trop timide. A mesure que l’orchestre entonne des accords de messe, le fertile contraste entre la musique “nostalgique” de Hersant et la construction d’une modernité scientifique se dilue. Les Éclairs paraissent ainsi posséder deux opéras en un : le premier est un étrange et inédit portrait d’un Faust farfelu, le second une histoire d’amour désuète entre Gregor et Ethel, comme si Jean Echenoz avait greffé un drame amoureux d’antan sur une histoire qui n’en demandait pas tant. Et pourtant, la musique de Philippe Hersant réserve de bien beaux morceaux de bravoure ! La prosodie est naturelle, les séductions mélodiques fourmillent, et si la texture de l’orchestre reste sage, souvent, les airs de Betty, celui à Vénus ou l’air très jazzy de Norman évoquent les belles réussites décomplexées des opéras de John Adams ou Thomas Adès dans le monde anglo-saxon. Les Éclairs ne provoquent peut-être pas le coup de foudre attendu, mais il y a tout de même de jolies étincelles…

Laurent Vilarem
Paris, 2 novembre 2021

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