A Amsterdam, le triomphe d'Evelyn Herlitzius dans Jenufa

Xl_jenufa-amsterdam-2018 © DR

Depuis ses créations au Festival d’Aix-en Provence, notamment Written on skin et Pelléas et Mélisande, les spectacles de Katie Mitchell sont scrutés et attendus par le public. A l’Opéra National Néerlandais d’Amsterdam, la metteure en scène britannique réussit une production de Jenůfa intense et inspirée, mais ne parvient pas (les janáčekistes regretteront cette opinion personnelle) à masquer les limites de cette œuvre de 1904.


Jenufa © Ruth Walz


Jenufa © Ruth Walz

En réalité, Katie Mitchell établit une synthèse entre un versant traditionaliste de la mise en scène et un versant moderne s’approchant du Regietheater. Il y a du Christoph Marthaler dans cette vision réactualisée de Jenůfa, substituant un village de campagne tchèque à la vie grise d’une moyenne entreprise. En signe de provocation, on retrouve des toilettes au centre de la scène, où les personnages accomplissent divers besoins naturels ou pour se retrouver seuls. Toutefois, ce ne sont pas les ressorts critiques de l’émotion que Mitchell traque, mais bien plutôt la recherche d’une véracité, à la manière d’un film social de Ken Loach. L’actualisation est faite avec une telle intelligence, un tel souci du détail qu’on croit à cette histoire de belle-mère qui choisit l’infanticide pour préserver l’avenir d’une jeune fille enceinte déshonorée. La meilleure arme de Mitchell est sa direction d’acteurs, exceptionnelle, comme on en voit qu’une poignée par saison à Paris. Chaque personnage est croqué dans sa quotidienneté, même si à l’acte 1, la metteure en scène multiplie inutilement les actions et les angles. L’acte 2, qui se situe dans le mobile-home de Kostelnička, resserre l’émotion mais ne parvient pas à transcender la banalité de l’action. Car, certes, Janáček est déjà tout entier dans Jenůfa : ses ostinatos rythmiques résolus par d’inattendues modulations, ses personnages de femmes fragiles luttant contre l’adversité, mais le livret, unilatéral et misérabiliste, n’atteint pas la portée philosophique et la verdeur de trait des grandes œuvres des années 1920. En l’absence de grands enjeux dramatiques, le spectacle se déroule alors avec application. Le Laca de Pavel Černoch a l’immense avantage d’être le seul tchécophone de la distribution et réussit à imposer une belle présence aussi bien vocale que scénique. Hanna Schwarz est une luxueuse Starenka ; Norman Reinhardt fait entendre un beau timbre lumineux dans le rôle ingrat de Steva. Quant à la prise de rôle d’Annette Dasch en Jenůfa, la soprano allemande brosse un personnage gracieux, tour à tour plein de force et d’abnégation, auquel ne manque qu’un soupçon de puissance vocale pour brûler véritablement les planches.

Cette production amstellodamoise serait une belle soirée efficace, si elle ne possédait deux atouts majeurs. Le premier est la direction de Tomáš Netopil, à la tête d’un magnifique Orchestre Philharmonique Néerlandais. Contre toute attente, le chef tchèque ne choisit pas de faire « claquer » les rythmes de Janáček : il sculpte amoureusement les alliages de timbres, fait ressortir les éléments de mélodie parlée aux instruments, avec une science du fondu qui rappelle plutôt Smetana ou Brahms. Le résultat est magnifique d’élégance et de musicalité. Et puis il y a la Kostenička d’Evelyn Herlitzius. Celle qui est une immense Elektra ou Kundry révolutionne ce personnage de belle-mère marâtre, parfois mal aimé. Dominant de la tête et des épaules le plateau vocal, elle sidère par sa puissance et sa sensibilité, apportant une étonnante profondeur à ce personnage oscillant entre sens de l’honneur et humanité. C’est le triomphe d’Evelyn Herlitzius.

Laurent Vilarem
(Amsterdam, le 20 octobre 2018)

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