Prise de rôle de Lise Davidsen dans Tosca au Bergen International Festival

Xl_tosca-bergen-festival-2023-lise-davidsen © Thor Bodeskrift

Le monde de l’opéra a découvert Lise Davidsen en 2015 lorsqu’elle a remporté non pas un, mais trois concours majeurs – Operalia, Hans Gabor Belvedere, puis dans son pays, le concours de la Reine Sonja –, faisant de la chanteuse une artiste à suivre. Avec son jeune soprano dramatique et corsé, on a ainsi pu l’entendre sur plusieurs grandes scènes interpréter des rôles comme Sieglinde de Walküre, Elisabeth dans Tannhäuser, Eva des Maîtres Chanteurs, ou encore le rôle-titre d’Ariadne ou Lisa dans La Dame de Pique, auxquels il faut ajouter récemment la Maréchal du Chevalier à la Rose dans lequel elle a été ovationné au Metropolitan Opera de New York.

Aujourd'hui, elle s'attaque à l'imposant répertoire de Puccini et se confronte à sa première Tosca en version de concert, dans son pays d'origine, la Norvège, en ouverture de la 71e édition du Festival de Bergen – le festival de musique le plus notable du pays. À ses côtés, Freddie de Tommaso dans le rôle de Cavarodossi et Sir Bryn Terfel dans celui de Scarpia complétaient la distribution sous la direction musicale de Edward Gardner à la tête du Bergen Philharmonic Orchestra. Le Grieghallen de Bergen accueillait deux représentations : si, de l’extérieur, le bâtiment n’est sans doute pas un chef-d'œuvre architectural, la salle se révèle néanmoins parfaitement fonctionnelle pour accueillir ses 1500 spectateurs, et le cadre s’oublie vite dès la musique commence et qu’on est immergé dans la merveilleuse acoustique du lieu.

Lise Davidsen, aujourd'hui âgée d'une trentaine d'années mais qui a toujours l’air d’en avoir une vingtaine, possède des notes aiguës merveilleusement rayonnantes et un médium doux comme du beurre. Dans cette première Tosca, elle est une jeune femme un peu naïve, très aimante et parfois jalouse, une sorte de femme-enfant. On est loin de l'interprétation dramatique, sophistiquée et mondaine que nous connaissons chez de nombreuses Tosca célèbres, et qui se sont imposées comme l’image du rôle. Peut-être évoluera-t-elle à l’avenir – ou peut-être pas. Après tout, chaque grande interprète façonne le rôle à sa manière, et il en sera de même pour Lise Davidsen. Sa prononciation de l’italien pourrait certes être améliorée, mais n’obère en rien la qualité de l’interprétation et elle n'aurait pas pu choisir meilleur lieu pour faire ses débuts dans le rôle – le festival de Bergen de cette année l’accueille en résidence, elle y propose une master class, un récital de lied et chante la partie de soprano dans la Messa da Requiem de Verdi.

Le ténor italo-britannique Freddie De Tommaso est son Cavaradossi – lui aussi est une jeune voix à surveiller. Il compose un artiste sans ruse qui se laisse entraîner dans une intrigue politique. Son air du troisième acte « E lucevan' le stelle » séduit par son intimité pleine de sincérité et riche d'âme. Avec une touche de grandezza à l'ancienne, il aime manifestement tenir et faire resplendir ses notes aiguës.

Sir Bryn Terfel est l'incarnation même du baron Scarpia, assoiffé de pouvoir. Chaque regard, chaque mouvement de ses mains trahissent sa longue expérience du rôle et la façon dont il se l'est approprié. Sa présence scénique est tout simplement écrasante, comme tapi en arrière-plan prêt à bondir sur sa proie (contrastant drastiquement avec le « Visi d'arte » de Tosca interprété avec tant d’innocence).

Le baryton-basse Ashley Riches interprète Angelotti avec l'intensité et tout le désespoir appropriés. Christian Valle déploie sa basse expressive dans le rôle du Sacristain, insufflant même une touche d'humour au rôle. Les deux hommes de main de Scarpia, le ténor Kjetil Støa en Spoletta et la basse Ludvig Lindström dans le rôle de Sciarrone, apportent un bel engagement vocal aux deux rôles secondaires. Olav Frøyen Sandvik, dans le rôle du jeune berger, touche le cœur du public avec sa voix claire et attachante de jeune soprano, chantant l'air folklorique du début du troisième acte.

Préparés par Håkon Matti Skrede, le chœur mixte et le chœur d'enfants déploient une belle projection dans le final du premier acte, quand bien même ils sont placés derrière l'orchestre. Là encore, l’acoustique de la salle se révèle remarquable. Edward Gardner, directeur musical du Philharmonic Orchestra depuis 2015, dirige ses musiciens avec assurance : il ne laisse jamais l'orchestre écraser les chanteurs, tout en les soutenant, et donne tantôt un bel espace aux cordes dans les passages symphoniques, tantôt encourage les percussions à se déchaîner dans un final dramatique du premier acte.

La salle était comble ce soir de première, prenant des allures de gala pour la bonne société norvégienne – les visiteurs locaux, mais aussi de toute la Norvège, des pays nordiques et d'ailleurs. Le festival de Bergen existe depuis 1953 et Bergen est la ville natale du célèbre compositeur Edvard Grieg (1843-1907). Pour autant, en Europe, le festival reste encore un secret bien gardé – quand bien même il a accueilli quelque 70 000 visiteurs en 2022 pendant deux semaines, pour plus d'une centaine de représentations de genres différents de musique, de danse, de jazz et de théâtre, dont beaucoup sont gratuites. Et pour les mélomanes également amateurs de nature, le festival de Bergen fait un point de départ idéal pour un périple sur la côte et ses fjords d'une beauté spectaculaire.

Le roi Harald et la reine Sonja de Norvège ont assisté à cette première de Tosca. Deux impressionnants fauteuils rouges avaient été installés pour eux au premier rang et le public a été invité à se lever à l'entrée et à la sortie du couple royal – parallèlement à une standing ovation spontanée réservée aux artistes. Geste particulièrement émouvant de cette première : en fin de soirée, la reine Sonja a remis un bouquet de fleurs à Lise Davidsen lors des applaudissements – les deux femmes se connaissent depuis que Lise a remporté le premier prix du concours de la Reine Sonja. Le lendemain, Lise Davidsen accordait une interview, ouverte au public, à un journaliste norvégien. Parfaitement à l’aise et détendue, elle s’est alors interrogée en riant : « est-ce vraiment réel ? »

traduction libre de la chronique de Zenaida des Aubris
Bergen, 24 mai 2023

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