L’Or du Rhin ouvre le cycle du Ring des Nibelungen à Munich

Xl_rheingold-bayerische-staatsoper-000 © Winfried Hösl

La seconde moitié du Festival de l'Opéra de Munich de cette année a été marquée par la reprise du Ring des Nibelungen, créé en 2012 dans la mise en scène d’Andreas Kriegenburg.

Le metteur en scène allemand à succès (dont on pourra découvrir le travail, dans la nouvelle production des Huguenots à Paris à la rentrée), aux idées fortement influencées par le théâtre vivant, articule sa production autour d’ensemble d’objets vivants, interprétés par de très nombreux figurants. Se balançant doucement pour figurer les flots du Rhin, ou merveilleusement immobiles dans le bureau de Wotan au Walhalla, en table,lutrins et fauteuils, ils vivent sur scène sans toutefois détourner l’attention du spectateur de l’action. La mise en scène est audacieuse, soutenue par les effets de lumière de Stefan Bolliger, qui illumine la scène de tons clairs et amicaux, bien loin de l’obscurité austère trop souvent de mise au théâtre.


L'Or dh Rhin, Munich 2018 (c) Winfried Hösl

Le cycle du Ring s’impose comme un rendez-vous incontournable pour les amateurs de Richard Wagner du monde entier. On retrouve une nouvelle fois Kirill Petrenko, directeur musical de Munich, bien connu pour ses précédents coups d’éclats en tant que chef d’orchestre sur Wagner et dont l’interprétation fait beaucoup parler au sein des cercles wagnériens, en opposition avec quelques autres chefs d’orchestre comme Christian Thielemann.

La distribution est elle aussi particulièrement impressionnante et réunit une sélection triée sur le volet des meilleurs interprètes actuels de la scène lyrique. Aucune surprise, dès lors, de constater que cette réinterprétation du L'Anneau du Nibelung ait affiché salle comble si vite et ait nourri de si grandes attentes.
On le sait, l’ambition de Richard Wagner quant à sa Tétralogie reposait sur la création d’un ensemble complet, et non d’une simple succession d’œuvres de répertoire. En réunissant le prologue et les trois journées qui composent le cycle (donné ici à Munich en moins d’une semaine), l’œuvre colossale du compositeur n’apparaît dans toute sa grandeur qu’à la fin du quatrième soir, tel qu’il l’avait lui-même présenté à ses amis en 1851. Et on ne peut que remercier les artistes qui consacrent une telle énergie à faire vivre cette grandiose épopée. À noter également que Munich est historiquement très liée à la vie et au travail du compositeur, et s’impose, avec Bayreuth, comme l’un des hauts lieux où ont été rendus les plus vibrants hommages à son œuvre.

Ce 20 juillet, températures moyennes et la langueur de soirée estivale attendent le public du festival qui arrive par petits groupes sur la grande place faisant face au Théâtre national. Les amateurs de Wagner viennent de tous les pays et il règne là un brouhaha de langues plus diverses les unes que les autres. À l'intérieur, les figurants, impassibles, sont déjà installés sur la scène (ils seront au cœur de la mise en scène toute la soirée), regardant le public se précipiter dans le hall. Kirill Petrenko fait son entrée sous une pluie d’applaudissements. Sans cérémonie se forme alors une masse fluide et ondulante de figurants couchés sur le sol, figurant les vagues desquelles émergent les filles du Rhin, créatures éthérées en robes vertes et longs cheveux blancs, toutes droit sorties d’une bande dessinée épique.


Hanna Elisabeth Müller, Rachael Wilson et Jennifer Johnston
(c) 
Winfried Hösl

Hanna Elisabeth Müller, Rachael Wilson et Jennifer Johnston s’égaient dans les flots, portées par leur voix juvénile et claire jusqu’à l’arrivée de John Lundgren en doux Alberich. De sa voix puissante, qu’il déploie dans tous les registres sans jamais perdre son incroyable autorité virile, il captive l’attention et attise la peur du public. C’est aussi ce qui caractérise Wolfgang Koch, interprète de Wotan, dont le jeu souligne prodigieusement l’extraordinaire puissance du père des dieux. À maintes reprises, le public est saisi par ses rugissements, alors qu’il s’accroche à son pouvoir, avant enfin de sombrer dans les affres du remord qu’il nous chante d’une voix douce. Norbert Ernst, lui aussi, tient les rênes du Walhalla de façon plus que convaincante avec son interprétation incisive et une élocution merveilleuse. Ekaterina Gubanova est une Fricka autoritaire, mais s’impose aussi comme une diplomate habile qui évite le conflit avec son mari. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, enfin, interprète un Mime sournois, tentant d’influencer le destin selon ses propres desseins.

Un des moments les plus réussis de la mise en scène est sans conteste l’entrée des géants. Trônant sur des blocs humains et magistraux, ils s’imposent enveloppés dans de longs manteaux qui laissent apparaître de gigantesques mains et jambes. Et l’interprétation toute en puissance et expressivité d’Ain Anger et Alexander Tsymbalyuk ne leur donne que plus de grandeur. De même pour la visite du royaume des dieux par Erda, magistralement effroyable. Dans son costume couleur de boue, Okka von der Damerau émerge sur scène.  Foulant un sol argileux et entourée d’une multitude d’animaux rampant à ses côtés, elle rappelle Wotan à l’ordre d’une voix claire, profonde, magique et aux multiples nuances pour lui révéler son destin.

Tous les artistes font grande impression, autant à la vue qu’à l’oreille. Dans la fosse, l’orchestre mené d’une main de maître trouve toujours les bonnes notes et le bon ton pour chaque action. Dans une prodigieuse économie de moyen, Kirill Petrenko dirige toujours le Bayerisches Staatsorchester avec à peine quelques gestes, toujours un doigt levé vers les chanteurs, à l’écoute de chacune de leurs expressions pour repousser ou retenir l’orchestre, pour pousser le piano, ou accorder chaque instrument afin nous offrir un résultat à la fois toujours cohérent et qui relève du merveilleux. On ne peut alors qu’être frappé par l’intimité, la limpidité et la clarté de son interprétation. Il est rare que l’auditeur attentif soit débordé par la performance, pour mieux se laisser flotter sur un doux tapis de sonorités dont il peut à tout moment étudier les motifs et couleurs...

Un tonnerre d’applaudissements salue un opéra parfait, qui nous laisse attendre la suite de cette Tétralogie avec joie et impatience.

traduction libre de la chronique allemande de Helmut Pitsch

 

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