Une Bohème efficace, simple et directe à Montpellier

Xl_mg2_8118_redimensionner © Marc Ginot

L’Opéra de Montpellier propose en ce moment sa nouvelle production (également la dernière de cette saison), à savoir La Bohème, mise en scène par Orpha Phelan, que l’on remercie pour ne pas avoir cédé à la mode minimaliste. Au final, elle livre une Bohème dans une transposition que certains pourraient qualifier de sage, mais indubitablement efficace, simple et directe. Un plaisir qui sera d'ailleurs partagé gratuitement en plein air le 2 juin (nous y reviendrons).

Selon la note d’intention de la metteuse en scène, « une partie de la joie et de la difficulté d’être invitée à mettre en scène une nouvelle production de La Bohème réside dans le fait qu’elle pourrait se dérouler n’importe où et à n’importe quelle époque. Cette pièce habilement conçue fonctionnerait aussi bien à Montpellier en 2024 que si elle se déroulait à Paris dans les années 1830. Il y a toujours des jeunes gens, prêts à tomber amoureux et à tout risquer pour réaliser leurs rêves ». Toutefois, s’il est vrai que toutes les époques pourraient convenir pour cette histoire intemporelle, c’est celle de l’entre-deux-guerres qui s’est « imposée d’elle-même » : « il m’a semblé que cette période reflétait la vie de Mimi et Rodolfo, dont la romance s’épanouit rapidement après leur première rencontre fortuite. Mais à l’instar de Paris avec une occupation imminente, leur amour est condamné par la maladie et la pauvreté ».


La Bohème, OONM © Marc Ginot

La transposition n’a certes pas l’extravagance de l’espace (en référence à celle de Claus Guth), mais elle n’en demeure pas moins particulièrement agréable et réussie. Si l’on ne connaît pas l’époque du livret, on pourrait croire que cette période est celle dans laquelle il s’inscrit naturellement. Le décor – signé Nicky Shaw, également en charge des costumes – rappelle particulièrement le Viaduc des Arts, référence simple et discrète mais surtout bienheureuse dans ce contexte de croisement d’artistes. Ce décor, révélé derrière un rideau de tulle sur lequel se trouve l’image d’une femme sur fond de négatif et de drapeau français, a beau être présent tout le long de la soirée, il parvient néanmoins à figurer plusieurs lieux par le simple fait d’être légèrement oblique ou droit, et le jeu d’ouverture et de fermeture. En fermant les arches par des rideaux ou des volets, on obtient une grande pièce fermée qui fait figure l’atelier et le lieu de vie de la troupe d’artistes, chargé notamment de tableaux et où l’on trouve le bureau de fortune de Rodolfo. En ouvrant les arches et ajoutant des tables ainsi qu’une devanture, voilà une place où trône le fameux « Momus » et où déambule la foule. En le tournant légèrement et en ajoutant des lampadaires, voilà une rue une nuit d’hiver, et l’auberge dans laquelle séjournent Musetta et Marcello. Enfin, retour à l’atelier vidé où un lit de fortune fait de cagettes attend pour récolter les derniers instants de Mimi.

Nul besoin d’artifices supplémentaires pour créer de très beaux tableaux, comme pour le « Quando m’en vo » de Musetta, avec un côté cabaret, ou encore lorsque Mimi et Rodolfo s’enfoncent dans la rue hibernale en chantant « Ci lascerem alla stagion dei fior ! ». L’image semble alors sortir tout droit d’un film. Ou encore le tableau qu’offre la fin tragique, avec les lumières (de Matt Haskins) passant à travers l’arche grillagée pour éclairer à travers les barreaux le lit funèbre et improvisé de Mimi, tandis que les autres protagonistes sont tous sous le choc, abattus, chacun dans sa propre peine, éloignés des autres. On saluera également la très belle direction d’acteurs, très vivante, qui offre un mouvement continue à la narration sans jamais perdre l’œil ni l’attention, partageant de belles scènes de vie – notamment les moments entre amis avec les quatre artistes dans leur lieu commun.


La Bohème, OONM © Marc Ginot

La distribution remplit elle aussi ses promesses, à commencer par Adriana Ferfecka dont la Mimi s’avère tout à fait convaincante. Sans surprise, son air « Mi chiamano Mimì » remporte le suffrage du public qui l’applaudit chaleureusement : la voix sait montrer force et fragilité, en adéquation avec son interprétation du personnage particulièrement digne, mais n’en oublie pas pour autant d’offrir les grands élans attendus dans une ligne de chant parfaitement soutenue. Long Long campe pour sa part un solide et lumineux Rodolfo, poète s’élevant par le chant, amoureux transit porté par la musique du cœur qui s’égare dans ses veines et s’élève par sa voix auprès de celle qu’il aime… et du public, accessoirement ! Son air « Che gelida manina » est d’ailleurs lui aussi applaudi.


La Bohème, OONM © Marc Ginot

Ses compagnons d’infortune ne sont pas en reste : Mikołaj Trąbka est un Marcello vif et vigoureux, d’une énergie tonique qui s’exprime tant par le jeu que par le chant ; Dominic Sedgwick prête à Schaunard élégance et assurance, mais aussi la légèreté de bohémien ; Dongho Kim, enfin, offre sa voix grave et profonde à Colline, brillant particulièrement dans son « Vecchia zimarra ». On retient toutefois particulièrement la Musetta de Julia Muzychenko – déjà entendue in loco dans Rigoletto en 2021 ou encore dans Don Pasquale en 2019 –, particulièrement convaincante tant dans le registre léger, mutin et entier du personnage que dans celui plus dramatique qui prend toute sa dimension au dernier acte. Avouons qu’elle nous a alors beaucoup touchée.


La Bohème, OONM © Marc Ginot

Les comprimari complètent par ailleurs la distribution sans déception : Yannis François endosse les rôles de Benoît et d’Alcindoro, Hyoungsub Kim est Parpignol, Jean-Philippe Elleouët, le sergent, Laurent Sérou, un douanier, et enfin le vendeur d’Alejandro Fonte.

Officiant pour la première fois depuis l’annonce de sa nomination, Roderick Cox dirige avec fougue l’Orchestre national Montpellier Occitanie, mais a parfois tendance à oublier de laisser la place nécessaire aux voix sur scène, les submergeant quelque fois, notamment en début de soirée. Nonobstant ce léger bémol, le chef parvient à faire vivre la partition de Puccini avec toutes ces richesses et ces nuances, lui donnant véritablement vie durant une soirée qui paraît toujours trop courte lorsqu’elle est aussi agréable.

N’oublions pas enfin les chœurs de la maison ainsi que le Chœur Opéra Junior – Classe Opéra (préparés par Noëlle Gény et Noëlle Thibon), qui offrent par ailleurs une véritable foule sur scène et la vie d’une rue animée de Paris. L’ensemble est cohérent, uni, et très homogène.

Après plus de 10 ans d’absence, La Bohème revient donc à Montpellier dans cette nouvelle coproduction avec l’Irish National Opera qui fait mouche. Le public ne s’y trompe pas : les représentations affichent complet pour chacune des dates, et certains n’hésitent pas à tenter leur chance en affichant leur recherche de place à l’entrée du Corum. Heureusement, le spectacle sera diffusé gratuitement en plein air le 2 juin sur la Place royale du Peyrou (à Montpellier). Une belle occasion de partager et d’ouvrir les portes de l’art lyrique, avec un spectacle qui conclue en beauté et avec efficacité la saison montpelliéraine… en attendant l’annonce de la prochain prévue début juin !

Elodie Martinez
(Montpellier, le 22 mai 2024)

La Bohème à l'Opéra de Montpellier jusqu'au 26 mai, et diffusée gratuitement en plein air le 2 juin Place royale du Peyrou.

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