Un puissant Requiem de Verdi à Montpellier

Xl_dsc00886 © OONM

En raison des contraintes économiques actuelles, l’Opéra de Montpellier a malheureusement dû reporter la production des Scènes de Faust de Goethe de Robert Schumann initialement prévue ce mois-ci. Toutefois, la maison n’a pas laissé son public sur sa faim et proposait, en remplacement, le Requiem de Verdi samedi dernier, servi par certains solistes initialement prévus sur la production d'origine. Pour l’occasion, le Chœur de l’Opéra des Flandres a rejoint celui de l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie, gonflant ainsi les rangs et les décibels de la soirée.

Achevé le 15 avril 1874, cette œuvre de Verdi fut composé en l’honneur du poète Alessandro Manzoni, une des grandes figures du Risorgimento, décédé le 22 mai 1873. Exécutée pour la première fois un an jour pour jour après cette disparition, sous la baguette du maestro lui-même dans l’église San Marco de Milan, l’œuvre ne mit pas plus de trois jours pour s’émanciper de ce cadre et intégrer la Scala puis d’autres salles de concert à Paris, Londres ou encore Vienne.

Difficile de ne pas succomber à la puissance de la représentation à laquelle nous avons assistée. Une puissance divine, par la nature de l’œuvre ; une puissance interprétative, par les différents talents réunis ; sans oublier la force expressive de la partition, mais aussi et surtout une puissance acoustique face au nombre impressionnant de voix et d’instrumentistes réunis ce soir-là. Le chœur – forcément très important ici – s’est montré particulièrement à la hauteur samedi, en combinant les forces de la soixantaine d’interprètes qui le composaient. La vague déferlante du « Dies Irae » est descendue du fond de scène pour engloutir la salle jusqu’au dernier fauteuil. Il s’en fallait de peu de la voir se matérialiser tant les voix ont su faire corps durant cette soirée dans une belle unité et une solidité à toute épreuve. Mais la force de l’interprétation ne réside pas seulement dans la puissance sonore : elle est également dans l’intelligence et les intentions, dans les atmosphères et les changements entre ces dernières. On ne peut donc que saluer le travail de Jan Schweiger et Noëlle Gény, qui ont su préparer les deux chœurs à n’en former qu’un, et à cet exercice, pour en faire de solides atouts. Tantôt dans le creux de la vague, pour rappeler la fragilité mortelle, tantôt gonflés à bloc pour rappeler la puissance divine, les chœurs marient ainsi les deux entités de ce Requiem. Le « Sanctus » est un autre exemple de réussite – comme l’ensemble de la soirée en réalité – dans lequel le chœur s’unit dans sa division.

Il n’est toutefois pas le seul à réussir l’exercice : l’Orchestre national Montpellier Occitanie montre lui aussi l’étendue de sa puissance sous la baguette de Michael Schønwandt. C’est un torrent qui se déploie, avec une agitation savamment calculée et rythmée qui ne laisse rien au hasard. Le chef se montre attentif à son ensemble, et le dirige avec une apparente facilité et écoute. Il intègre les mouvements de chacun à celui de l’ensemble, joue avec les couleurs et les reflets, temporise ou au contraire déploie l’armée de notes en sa possession. Les oreilles bourdonnent parfois face à l’implacable et inarrêtable force qui se dégage, mais toujours avec bonheur : aussi terrible soit la fureur divine, elle n’en demeure pas moins composée par Verdi ici, et l’oreille ne peut que l’apprécier.

Enfin, les quatre solistes présents n’ont pas démérité, bien que parfois happés par les déferlantes sonores du reste du plateau. En premier lieu, la soprano Katherine Broderick, qui ne fait plus qu’une avec la partition. Ses expressions trahissent son implication profonde dans chaque mot, dans chaque note même. Les aigus transpercent la masse pour se hisser au-dessus de tout, sans pour autant être criards. Ils deviennent des rayons de soleil à travers les nuages de la masse. Le phrasé est impressionnant, juste, équilibré. Si l’on est frappé par ses aigus, on l’est également par ses médiums et ses graves, d’un naturel presque déconcertant. Quant au « Libera me » qui clôt la soirée, c’est avec une dévotion sans faille à l’œuvre que la soprano le livre, totalement habitée par la musique.

Révélation lyrique aux Victoires de la Musique Classique de 2022, Eugénie Joneau offre également une superbe prestation. Ses aigus sont naturels et fluides, ne laissant entendre aucune cassure dans la vaste palette de notes avec laquelle elle peint les différentes atmosphères. Tout coule de source, et la bulle de douceur qui se crée lors de « l’Agnus Dei » avec sa consœur n’est qu’un exemple parmi les nombreux beaux moments qu’elle offre, seule ou accompagnée. Jouant avec le rythme des phrases, et s’appuyant sur une ligne de chant à la fois souple et solide, elle se met elle aussi pleinement au service de la partition.

De son côté, bien que le ténor Ilker Arcayürek offre un phrasé peut-être un peu moins fluide, il n’est pas pour autant démuni d’élan pareils au rayons d’un soleil cristallin. À la fois chaude et aiguisée, la voix s’envole seule ou se mêle aux autres, en partageant ses nuances sans pour autant s’oublier. Nous retrouvons les jeux de clair-obscur que nous avions déjà pu apprécier lors de l’écoute de son disque, The Path of Life.

Enfin, la basse Sam Carl s’applique tout particulièrement dans sa partie a capella, qui permet d’entendre la voix nue, sans obstacle. Il suspend ainsi le moment dans cette parenthèse particulière où la profondeur du timbre parvient paradoxalement à être lumineuse.

Au final, ce Requiem de Verdi illustre à la perfection le célèbre adage « à quelque chose, malheur est bon » : certainement n’aurions-nous pas eu la chance de passer une si belle soirée s’il n’y avait pas eu le report du spectacle initialement prévu. Difficile de ne pas ressortir secouée par la puissance de la partition, joliment servie par celle des effectifs présents qui ont livré un puissant Requiem.

Elodie Martinez
(Montpellier, le 13 mai 2023)

Requiem de Verdi, à l'Opéra de Montpellier le 13 mai 2023.

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