Petibon à Ambronay : de Purcell à Haendel en passant par... Escaich !

Xl__dsc0347_dxo © Bertrand Pichène

Ce weekend à Ambronay était décidément un weekend plein de (re)découvertes : après le Télémaque et Calypso de vendredi, Patricia Petibon et l’Ensemble Amarillis se retrouvaient dans un récital « Destins de Reines » dont l’oeuvre principale était la nouvelle pièce de Thierry Escaich, la cantate Tombeau pour Aliénor, sur un poème d’Olivier Py, préalablement créée à Fontevraud.

Pour ce concert, le programme réunit trois figures de reines, en commençant par la Reine Mary (The Fairy Queen de Purcell). Plusieurs extraits sont présentés, principalement musicaux, dans lesquels l’ensemble peut briller à travers des interprétations personnelles qui peuvent néanmoins partager le public. Les oreilles des connaisseurs et puristes ont en effet pu être froissées par quelques sons qu'on qualifiera d'inattendus ; pour les néophytes, le résultat était somme toute suffisamment convaincant pour sembler naturel. Peut-être le solo de flûte en ouverture de soirée pouvait-il paraître quelque peu étrange, mais le reste demeure à l’appréciation de chacun. On ne peut toutefois pas contester le talent de l’ensemble et des musiciens, chacun apportant sa pierre à l’édifice sous la direction de Héloïse Gaillard, avec un brin de folie baroque. Ce n’est qu’après cette entrée en la matière instrumentale qu’apparaît Patricia Petibon, dans une de ses tenues extravagantes – peut-être un peu « trop » pour cette soirée et ce programme, mais dans la tradition des récitals de la soprano. Toutefois, que le costume soit « trop » ou « pas assez », on est immédiatement saisi par cette voix qui paraît alors venir d’ailleurs, d’une profondeur inaccessible, comme si l’outre-tombe se manifestait et communiquait par le chant, préparant ainsi l’arrivée de la deuxième reine de la soirée : Aliénor d’Aquitaine.

Après une pavane et une chaconne de Purcell suit donc la pièce maîtresse, à savoir la commande passée à Thierry Escaich. L’apparition d’une œuvre contemporaine dans le programme peut faire grincer des dents, du fait du « choc des cultures », mais c’est aussi une façon d’amener le public à découvrir la musique contemporaine. On comprend finalement qu’en plus d’être au centre du récital, elle en est aussi le cœur, et déteint sur toute la soirée. La densité de l’écriture s’ajoute à la présence forte de percussions, et s’avère moins inaccessible que d’autres musiques contemporaines. Pour autant, difficile d’en apprécier pleinement la musicalité quand on n’est pas amateur du genre. Le texte est signé d’Olivier Py et composé de sept poèmes, dont certains sont déclamés et non chantés (comme « Théâtre » ou « Carpe Noctem »), ou jouent avec les différentes techniques du chant, entre chant pur et récitatif, accompagné ou non. Le premier vers est d’ailleurs a cappella, et résonne d’autant plus : « Dans le silence, entendez-vous, ma voix de marbre ? » La forme est particulièrement travaillée, de même que les connexions entre les mots et la partition, et l’engagement de la cantatrice est total – comme on peut s’y attendre. Du souffle au chant puissant en passant par toutes les nuances exigées – et exigeantes – de la cantate, rien ne semble pouvoir arrêter ou freiner Patricia Petibon qui porte la puissance dramatique de l’œuvre. Il faut bien un entracte pour se remettre de ce coup de massue et laisser vivre le silence et « sa note blanche » clôturant le texte.


Patricia Petibon © Bertrand Pichène

C’est à Agrippine que revient la tâche de combler la seconde partie du récital, dans la musique de Haendel, entre extrait de son opéra éponyme (« Ogni vento ») et sa cantate Agrippina Condotta a morire, agrémentés d’un concerto pour hautbois et de sa sonate en trio dont les trois mouvements sont inversés. Ici, nous nous retrouvons davantage dans un récital baroque, exercice dans lequel la soprano française excelle et n’a plus à faire ses preuves. Changement de costume et de ton, bien que le fantôme d’Aliénor semble planer non loin de là et résonner dans les derniers mots que lance la cantatrice, reprenant le premier vers d’Olivier Py : « Dans le silence, entendez-vous ma voix de marbre ? »

Nul bis ne sera ici servi au public pourtant non avare en applaudissements. Les artistes prennent le micro afin d’expliquer que l’oeuvre d’Escaich est particulièrement dense, que c’est une transfiguration dont on ne ressort pas indemne, et que par conséquent, il est difficile de chanter autre chose après. Patricia Petibon rappelle la sculpture d’Aliénor d’Aquitaine, avec un livre tourné vers le ciel, mettant alors en parallèle les artistes qui ne sont finalement que des « saltimbanques visant les astres », même s’ils ne les atteindront peut-être jamais.


Patricia Petibon, ensemble Amarillis © Bertrand Pichène

Que l’on soit convaincu et touché ou non par la pièce contemporaine, on ne peut nier l’implication de la cantatrice dans le récital. Si ses mouvements et « chorégraphies » peuvent en agacer certains, le talent demeure intact. Le chant est maîtrisé à un haut degré d’excellence, et va au-delà de la partition. Le personnage atypique dérange ou non, mais l’artiste, elle, est incontestable et ne déçoit pas, surtout accompagnée par un ensemble avec lequel la complicité est évidente comme ce soir.

À noter que le concert a fait l’objet d’une captation par France Musique pour une diffusion le 31 octobre prochain à 20h.

Elodie Martinez
(A Ambronay, le 30 septembre)

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