Ambronay exhume Télémaque et Calypso de Destouches

Xl__dsc8894_dxo © Bertrand Pichène

Ce vendredi, le festival d’Ambronay proposait une redécouverte de Télémaque et Calypso de Destouches en recréation mondiale – après sa Sémiramis il y a cinq ans, recréée avec le même ensemble. Nous retrouvions donc Les Ombres, dirigés par Margaux Blanchard et Sylvain Sartre à l’Abbatiale d’Ambronay pour une belle aventure musicale et la poursuite de la (re)découverte de ce compositeur plein de talent que l’on entend trop peu.

C’est dans la pure tradition de l’époque que s’ouvre l’œuvre avec un prologue dans lequel Minerve, Apollon et l’Amour amorce l’action, tout en célébrant le Roi. Vient ensuite le coeur de l’opéra (créé en 1714) dans sa version de 1730, intitulé initialement Télémaque – mais où Calypso a elle aussi toute sa place, ainsi que l’appuie le titre mis en avant pour le festival. Le livret de l’abbé Pellgrin s’inspire du roman de Fénelon, Les Aventures de Télémaque (1699), et débute après que Neptune eut lancé sur Ogygie une terrible tempête, alors qu’Ulysse est parvenu à quitter l’île. Le mariage entre Adraste et Calypso – toujours éprise du roi d’Ithaque – a donc été interrompu, et l’on apprend que seul le sang d’Uysse pourra calmer le dieu des mers. Le héro ayant quitté les lieux, l’affaire semble peine perdue. Parallèlement, on découvre Eucharis, qui s’est éprise d’un jeune et bel inconnu que la tempête a fait échouer sur l’île, et qui n’est autre que Télémaque dont le cœur bat également pour la jeune femme. Il décide donc de révéler son identité et de se sacrifier pour calmer la colère du dieu, mais Calypso en tombe elle aussi amoureuse et décide de l’épargner, ce qui n’est pas pour plaire à Adraste. Celui-ci souhaite alors tuer Télémaque afin de se venger. Minerve – à travers une prêtresse – rappelle que le fils d’Ulysse doit épouser Antiope, et Eucharis – qui est en réalité Antiope – préfère de son côté « taire sa gloire et son amour » tandis que Télémaque fuit Calypso, ne pouvant « ni la tromper, ni l’aimer ». Finalement, Télémaque blesse mortellement Adraste, qui révèle à Calypso l’amour qui lie les deux jeunes gens avant de mourir. La reine laisse alors exploser sa colère et son désir de vengeance, prévoyant de tuer le couple. Télémaque prévoit de quitter l’île avec Eucharis, mais Calypso commande à des démons de mettre le feu aux navires, avant que Minerve n’intervienne pour révéler l’identité de la jeune femme et commander aux Zéphyrs de porter les amants jusqu’à Ithaque.


Isabelle Druet (Calypso), © Bertrand Pichène

Avouons tout de suite que la Calypso d’Isabelle Druet se détache et brille particulièrement. Dès sa première intervention, la voix porte toute la noblesse du personnage, et se teintera du pouvoir de la reine au moment opportun dans la soirée. La mezzo-soprano nuance sa partition de mille couleurs satinées, à la fois puissante et fragile, divinement humaine, elle dresse un portrait fidèle et travaillé jusque dans le moindre détail. Son interprétation ne souffre aucun reproche, tant dans l’incarnation, que la prononciation ou la projection. Face à elle, le Télémaque d’Antonin Rondepierre apparaît un peu léger, avec une prononciation plutôt bonne globalement, mais avec une légère carence en héroïsme. Certes, le héros est jeune, et peut-être naïf, mais il n’en demeure pas moins fils d’Ulysse, intrépide et courageux – il n’a pas hésité à venir en aide à sa mère et son père face aux prétendants dans la mythologie. L’interprétation n’en demeure pas moins plaisante, la ligne de chant est claire, précise, et s’inscrit très bien dans la tradition des hautes-contres. En Eucharis/Antiope, Emmanuelle de Negri se démarque elle aussi par une présence bien ancrée. Les couleurs chatoyantes dansent dans sa voix, où l’on devine un souci constant du texte. La projection est limpide, et elle s’impose sans effort aux côtés des deux rôles principaux, en rivale plausible à la Calypso d’Isabelle Druet. Les émotions nous deviennent particulièrement accessibles par sa voix, et l’on est touché par ce personnage d’une belle grandeur douce et voilée.


Emmanuelle de Negri (Eucharis), David Witczak (Adraste) et Isabelle Druet (Calypso) © Bertrand Pichène

David Witczak révèle un Adraste noble, à la voix ample qui se démarque davantage dans la scène 7 de l’acte IV, lorsque sa vie touche à sa fin. Le personnage se déploie et se libère alors complètement, pour briller dans un ultime moment qui est le sien. Quant à Marine Lafdal-Franc (Minerve et Grande prêtresse de l’Amour), elle se détache des autres rôles secondaires grâce à une voix solide, un chant assumé teinté d’autorité et de malice divine. Elle s’impose ainsi dès le Prologue face à l’Apollon d’Adrien Fournaison (également Idas), doux mais sans relief particulier, manquant de caractère solaire, un peu trop sage, et l’Amour de Hasnaa Bennani (également Cléone, Prêtresse de Neptune, Nympe et Matelote). Le chant est mélodieux, le souffle long et appréciable, l’émission pleine et ronde, mais où la prononciation mériterait peut-être un petit peu plus de précision. Enfin, David Tricou (Arcas, un des Arts, Un Plaisir) et Colin Isoir (Grand Prêtre de Neptune) complètent la distribution.


Marine Lafdal-Franc (Minerve et Grand prêtresse de l’Amour) © Bertrand Pichène

Côté ensemble, Sylvain Sartre mène Les Ombres avec talent, en connaisseur de Destouches, avec une métrique infaillible et des élans que l’on apprécie particulièrement. Quelques nuances plus appuyées parfois auraient peut-être été plus appréciables encore dans l’acoustique de l’abbaye, mais les pages musicales demeurent servies de manière à ravir l’auditoire sans pour autant l’emporter sur les voix. On découvre avec un grand plaisir ces pages de Destouches et ces nombreuses pièces instrumentales enthousiasmantes qui ponctuent l’opéra, avec grandeur. Le chœur sert lui aussi l’ouvrage, bien que les dessus semblent ici davantage unies et en cohésion.

Quelques défauts mineurs qui au final ne parasitent pas le plaisir de l’écoute de cette œuvre injustement méconnue, que le public versaillais aura la chance de pouvoir entendre le 19 juin prochain. D’ici là, le concert – diffusé sur Culturebox – a été enregistré par France Musique pour une diffusion le 21 octobre à 20h, en attendant la parution du disque.

Elodie Martinez
(A Ambronay le 29 septembre 2023)

Télémaque et Calypso, Festival d'Ambronay le 29 septembre 2023.

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