Peter Grimes à Lyon : la pêche est-elle bonne ?

Xl_2025_petergrimes_g_c_agathepoupeney_hd_040 © Agathe Poupeney

De mémoire, on n’avait pas revu Peter Grimes à l’Opéra de Lyon depuis le Festival Britten de 2014, où l’œuvre était alors signée par Yoshi Oida. Pour l’actuelle reprise de la production du Theater an der Wien, c’est à Christof Loy que les rênes ont été confiées pour sa première venue dans la capitale des Gaules. Le metteur en scène qui n’a « jamais été intéressé par ce qui est trop réaliste », qui a « toujours été partisan d’une esthétique minimaliste, tout particulièrement dans ce cas », livre ainsi une lecture très personnelle de l’œuvre.

Effectivement, si « le texte ne permet pas de savoir si Peter est homosexuel ou non, s’il a tué le garçon ou s’il est innocent » (ainsi qu’il l’admet dans les notes du programme), il affirme également : « pour moi, Peter est homosexuel ». C’est finalement la colonne vertébrale de la vision proposée : l’homosexualité du héros, mais aussi celle du Capitaine Balstrode particulièrement présent, rôdant sur scène et autour de Peter. Ce comportement suggère rapidement des sentiments amoureux de l’homme, expliquant aussi sa gentillesse à l’égard de Peter et son soutien, contre vents et marées.

Les doutes s’envolent lorsqu’il embrasse à pleine bouche le jeune apprenti, qui répond à ses avances. Leur début d’ébat est alors surpris par Peter ; la trahison est double, éclairant d’un jour nouveau les relations et discours entre le marin et le capitaine.

Peter Grimes, Opéra de Lyon (2025) (c) Agathe Poupeney
Peter Grimes, Opéra de Lyon (2025) (c) Agathe Poupeney

Une relation assez malaisante si l’on a en tête un apprenti enfant, comme c’est généralement le cas. Mais ici, Christof Loy décide de « donner une présence scénique plus importante que d’habitude au garçon que Peter emploie comme aide pour la pêche. Pour rendre envisageable une relation amoureuse entre les deux personnages, j’ai décidé d’en faire un jeune homme, incarné par un danseur ».

La subtilité que l’on apprécie tant dans l’œuvre de Britten s’en trouve ainsi particulièrement impactée. L’émotion née de la tension entre le dicible et l’indicible, le sous-texte imperceptible et le déclaré, ce que l’on sait et ce que l’on ignore s’en trouve fragilisée.

Le décor est unique : un grand espace fermé, au sol particulièrement incliné, sur lequel tous luttent pour ne pas tomber. Un lit trône en bord de scène, menaçant de sombrer dans la fosse où l’un de ses pieds pend déjà. Des chaises amenées qui finiront entassées dans une tour que l’on a peur de voir s’effondrer. Finalement, tout est ne semble tenir ici que par équilibre, reflétant les tensions de la musique. De même que pour Peter Grimes, il suffirait d’une pichenette pour que tout s’écroule. La lecture de Christof Loy offre un final sans retenu sur la nature humaine : alors que le marin sur lequel le village vient de s’acharner sombre au loin avec son bateau, les villageois se regroupent déjà comme ils l’ont fait en début de soirée, cette fois autour de leur prochaine victime : le Capitaine Balstrode. Il ne fait décidément pas bon ne pas se fondre dans la meute...

Peter Grimes, Opéra de Lyon (2025) (c) Agathe Poupeney
Peter Grimes, Opéra de Lyon (2025) (c) Agathe Poupeney

Sur scène, Sean Panikkar offre un Peter Grimes tout en douceur contradictoire avec les accusations qui le réveillent, avant de s’avérer puissant, colérique, affamé de libertés, déchirés par des tourments intérieurs que seuls la musique parvient finalement à traduire. La voix reflète ces différents états, appuyés également par des mediums ambrés. La ligne obéit aux marées qui viennent submerger le personnage, la tempête se déchaîne, donnant à entendre la houle qui tangue et frappe avec rugosité, inarrêtable. Est-il coupable ? La violence dont il fait preuve nous fait tanguer vers une réponse positive, mais le doute demeure jusqu’à la fin.

Sinéad Campbell-Wallace est une luxueuse Ellen Orford, à la voix lumineuse, solide : un faisceau puissant qui se veut un phare dans la nuit, mais qui finira par s’effondrer de l’intérieur lorsqu’elle réalisera que tous ses efforts pour sauver Peter sont vains. La douceur et l’empathie du personnage ressortent bien, rendant son personnage particulièrement humain dans cette mer lugubre. Autre allié de Peter, le Capitaine Balstrode d’Andrew Foster Williams – coutumier du rôle qu’il tenait déjà en 2014 in loco mais aussi à Vienne où la production fut créée – laisse entendre une voix corsée, pour un personnage auquel on s’attache sans difficulté.

Carol Garcia est une Auntie coquette et entière, tenancière féminine veillant sur ses oilles, ne plongeant jamais en eaux troubles : il n’est pas bon pour les affaire de se prononcer en faveur d’un camp. La voix s’envole et se déverse avec l’aisance de la liqueur qu’elle fait couler dans les verres de ses clients, ancrée dans les vérités terrestres. Ses nièces sont interprétées par Eva Langeland Gjerde et Giulia Scopelliti dont les chants s’accordent et s’unissent à l’image de leurs costumes identiques. Leur jeu mutin, presque enfantin, apporte une légèreté acidulée qui n’est pas pour déplaire.

Peter Grimes, Opéra de Lyon (2025) (c) Agathe Poupeney
Peter Grimes, Opéra de Lyon (2025) (c) Agathe Poupeney

En Swallow, Thomas Faulkner cisèle les mots tranchants en figure d’autorité qu’il est, porté par une voix profonde, franche et large. Il est secondé par le Hobson de Lukas Jakobski que le physique impose autant que le chant caverneux. Alexander de Jong est pour sa part un Ned Keene tonique quelque peu mystérieux : le personnage semble avoir deux visages sans toutefois les laisser pleinement voir. La Mrs Sedley de Katarina Dalayman est entre drame et comédie, en commère ridicule que l’on écoute quand même. Filipp Varik prête sa voix chaleureuse à l’agaçant Bob Bols, tandis qu’Erik Årman incarne le Révérend tout en retenu. Enfin, Yannick Bosc s’avère être un John particulièrement habile en séduction, au regard plein de défi lors de son arrivée, au jeu lisible sans être caricatural.

Après Candide durant la saison 2022-2023, le chef Wayne Marshall retrouve la fosse et l’Orchestre de l’Opéra de Lyon. Il déploie les embruns marins de la partition, suit ses vagues, vogue au gré de la houle. Il ne cherche pas à dompter les flots : il les accompagne, laissant les reflets du soleil briller, naviguant des nuances des profondeurs abyssales au clair des eaux turquoises. Suivi par les musiciens talentueux de la maison lyonnaise, il délivre ainsi une partition maîtrisée, limpide, vibrante. Enfin, les chœurs de l’Opéra – préparés par Benedict Kearns – font montre d’une puissance redoutable, tels les flots déchaînés emportant tout sur leur passage, avec une précision chirurgicale.

Elodie Martinez
(Lyon, le 9 mai 2025)

Peter Grimes à l'Opéra de Lyon jusqu'au 21 mai 2025.

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