Magistral chant du cygne d’Orfeo 55 à Montpellier

Xl_orfeo_55 © Elodie Martinez

Il y a un petit peu plus de deux semaines, l’ensemble Orfeo 55 annonçait officiellement la fin de ses activités (ce dont nous vous faisions alors part). Toutefois, si l’orchestre cesse bien ses activités, les musiciens ont tenu à honorer leur concert prévu hier à Montpellier. Ainsi que l’a annoncé la directrice de l'Opéra Orchestre de Montpellier Valérie Chevalier en introduction au concert. C’est donc à titre personnel que les quatorze musiciens sont venus, et la directrice a tenu à les nommer chacun, annonçant l’entrée de ces artistes pupitre par pupitre afin qu’ils récoltent les applaudissements et remerciements qu’ils méritent. Dès ce discours, nous sentons l’émotion particulière qui marquera la soirée : cette émotion particulière propre aux « dernières fois ».

Autre information partagée lors de cette introduction, l’annonce d’un changement de distribution de dernière minute, ou presque. En effet, Nathalie Stutzmann est annoncée souffrante : « terrassée par une fièvre épouvantable » dimanche, selon les mots de Valérie Chevalier, il a fallu réagir rapidement et trouver une solution qui conviendrait à l’artiste ainsi qu’à l’opéra afin de pouvoir maintenir la soirée. Il a donc été décidé que la cheffe dirigerait mais serait remplacée pour sa partie chantée. C’est donc Mélodie Ruvio qui, arrivée lundi seulement – la veille –, a accepté de remplacer Nathalie Stutzmann, ce qui n’est pas rien pour une jeune artiste, d’autant plus que la contralto devait assumer les trois œuvres du programmes, y compris le Salve Regina de Porpora (pour sa voix seule).

La soirée débute toutefois par un autre Salve Regina, celui de Scarlatti pour soprano et contralto. Dès les premières notes, la solennité de la partition semble se mêler d’une mélancolie particulière, émotion liée à cette soirée. Si Orfeo 55 doit pousser ce soir son chant du cygne, l’ensemble paraît bien décidé à en faire un chant magistral. L’équilibre est d’une précision quasi chirurgicale, l’écoute est totale, chacun embellit la partition, note après note, en obéissant à la vision d’ensemble. La grande maîtrise du registre baroque acquise au cours de ces presque dix ans d’existence sert merveilleusement le compositeur… et bien sûr l’auditoire qui, ici, ne laisse échapper aucun applaudissement incongru tant que la pièce ne touche à sa fin (une observation qui vaut pour l’ensemble de la soirée). La communion est totale entre scène et salle. Quant aux voix, on note le beau travail d’écoute de la soprano Siobhan Stagg qui s’est adaptée sans difficulté apparente à Mélodie Ruvio qui sent certainement les yeux et les oreilles tournées vers elle, curieux d’entendre celle qui remplace la tête d’affiche originelle. Certes, on ressent très légèrement cette pression et le carcan qui l’empêche de prendre pleinement son envol, mais quoi de plus naturel dans de telles circonstances ? Le résultat n’en est pas moins remarquable compte tenu du court délai de préparation laissé à l'interprète, et les deux voix parviennent à s’accorder parfois de manière presque magique. Chacune parvient à déployer une belle énergie, portée par celle de l’orchestre qui sait se montrer tout aussi dynamique que languissant sous la direction aiguisée et d’une attention sans faille de Nathalie Stutzmann. Mélodie Ruvio parvient également à venir à bout du Salve Regina de Porpora, se raccrochant toujours à la partition, mais encore une fois, rien n’est plus normal. La voix de poitrine montre de belles couleurs, et l’on devine des nuances qui ne demandent qu’à être un peu plus déployées. Le résultat n’en demeure pas moins à la hauteur de cette soirée exceptionnelle.

Après l’entracte, le public retrouve sur scène, autour de l’orchestre et sur l’avant-scène côtés cour et jardin, huit haut-parleurs disposés en arc de cercle derrière les musiciens, ainsi que six autres, plus bas, réunis en deux groupes de trois sur les côtés de l’avant-scène. La pièce principale de la soirée, le Stabat Mater de Pergolèse, est ici revisité par le compositeur électroacousticien Julien Guillamat qui parvient à ne pas dénaturer cette œuvre sublime mais à y apposer, sans s’imposer, sa touche personnelle. Les premières notes, dans un rythme plus lent que de coutume, font écho à la partition sans pour autant la respecter avec exactitude. De ce son, auquel se mêle celui servi par les haut-parleurs, naît une sensation particulière, comme si la musique émergeait du passé. Quelque chose d’irréel, mais bien présent. Un présent passé, comme rêvé ou un souvenir. Les musiciens reprennent ensuite leurs instruments pour que cette musique surgie de ce monde vaporeux et insaisissable se présente pleinement à nous, que ce « présent passé » devienne un « passé présent ». Là aussi, Orfeo 55 fait des merveilles, la ligne de basse tenant son rôle et se faisant sentir juste ce qu’il faut. Un nouvel ajout se fait entendre après « ut tecum lugeam », comme une bataille après la course, nous préparant au galop de « Fac ut ardeat cor meum » au cours duquel les deux cantatrices offrent une très belle énergie et une belle osmose. Vient – bien trop vite – le « Amen » final au rythme tout aussi endiablé, suivi par une ultime touche de Julien Guillamat. La musique envahit, habite, prend possession des moindres recoins de l’espace, se faufilant un chemin entre menace et fragilité. Il y a quelque chose d’hypnotisant dans cette musique qui semble vivre avant de s'effacer et retourner en ce lieu mystérieux duquel elle était sortie.

Une soirée durant laquelle il s’est indéniablement passé quelque chose, ce « quelque chose » indescriptible, insaisissable et unique. Le programme, teinté de mystique, a probablement aussi bien servi les adieux d’Orfeo 55 que l’orchestre l’a servi. Une réciprocité au service d’un public qui a partagé l’émotion de cette soirée pas comme les autres. Un chant du cygne magistral, mais il est finalement difficile de dire lequel, du chant ou du cygne, était ici le plus magistral…

Elodie Martinez
(Montpellier, le 14 mai)

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