Macbeth à St-Etienne : à la folie, par-dessus tout

Xl__dsc0456 © Cyrille Cauvet

L’Opéra de Saint-Etienne clôt sa saison avec Macbeth, en coproduction avec l’Opéra de Nice où certains ont déjà pu voir la production en 2022. La mise en scène signée par Daniel Benoin nous emmène dans les années 1920, entre images d’archives des tranchées de 14-18 dans lesquelles sont incrustés Macbeth et Banco, décors imposant d’une sortie d’usine, et intérieur luxueux typique de cette période. Une manière de nous ramener à cette époque durant laquelle les femmes ont finalement géré la société en remplacement des hommes partis au front, de même que Lady Macbeth gère la politique pour son époux parti à la guerre, mais également à son retour. Les folies de la guerre ont par ailleurs aussi probablement laissé des traces psychologiques qui expliquent le basculement du héros.

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Bien que l’on note quelques petites maladresses ou incohérences, on se laisse porter dans la transposition, notamment grâce aux lumières du metteur en scène – qui offrent tout un panel d’atmosphères – et aux projections vidéo de Paulo Correira. Outre les images d’archives (permettant les changements de décors), ces vidéos nous transportent en forêt (ce qui permet de ne pas totalement l’omettre de la mise en scène qui laisse les personnages dans le même décor de rue pour cette partie) ou bien ouvrent la possibilité de l’onirique, du surnaturel et du psychologique. Ainsi les poignards se multiplient et tombent le long des murs de l’appartement, le visage de Banco apparaît en nous plongeant dans la vision de Macbeth lors du banquet, ou encore dans celles qu’il a grâce aux esprits et aux sorcières. Ces dernières deviennent d’ailleurs ici des ouvrières d’usine, dont la grande porte nous dévoile un immense chaudron en clin d’œil au folklore lié à ces personnages, de même que les balais dont elles se servent après leurs premières prédictions pour nettoyer l’espace scénique.

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Si l’on remarque quelques petits défauts dans la mise en scène, comme la présence de fusils d’assaut qui paraissent anachroniques (surtout au milieu des carabines), ou le fait de simplement poser un drap sur le fils de Banco pour qu’il devienne invisible comme par magie, on ressort néanmoins globalement assez convaincu par ce qu’on a vu. L’idée de montrer d’abord Malcolm enfant au moment du meurtre de Banco, puis en jeune homme lors du dernier acte crée une ellipse narrative intéressante, mais celle-ci se heurte au chant de Macduff pleurant ses enfants et sa femme occis par Macbeth, car il sous-entend que ces morts sont récentes. On imagine mal alors que l’infortuné les pleure depuis plusieurs années sans tentatives de vengeances, ou que le roi ait attendu tout ce temps avant de s’en prendre à sa famille. Par ailleurs, placer le lit et la grande table de salle à manger dans un seul et même endroit crée quelques soucis de vraisemblance, et superpose les sphères publiques et privées, mais cela peut aussi vouloir appuyer sur les répercussions de l’une sur l’autre et leurs liens étroits.

On retient également le travail fait autour de la place de la femme aux commandes de la tragédie, Lady Macbeth devenant presque une véritable marionnettiste avec son époux à qui elle glisse un revolver à la place du poignard quand celui-ci décide de se laisser guider par sa soif de pouvoir. Autre image marquante de la soirée, celle de Macbeth qui pousse du pied le cadavre encore chaud du roi Duncan depuis la table, pour ensuite enfiler le collier, symbole de couronne ici. Si nous retrouvons sans surprises cette image en fin de soirée, avec cette fois-ci le fils de Banco poussant le cadavre de Macbeth comme celui-ci l’avait fait avant lui, l’image n’en demeure pas moins forte, de même que la symbolique d’une avidité de pouvoir et d’un cycle sans fin.

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On entend assez peu en France Valdis Jansons, et c’est bien dommage. La voix est particulièrement fruitée et se bonifie davantage encore dans la seconde partie. Il offre un Macbeth original, à qui il insuffle une théâtralité impressionnante. Nous le voyons particulièrement consistant et constant, basculant dans la folie et se laissant aller avec naturel et amour aux conseils de son épouse. Cette dernière est incarnée par Catherine Hunold, qui laisse entendre une voix puissante, entre clarté et obscurité, avec notamment des basses miroitantes. Là aussi, le jeu de l’actrice est notable et rejoint le naturel de son confrère. Charismatique et solide, elle arrive à offrir une scène de folie touchante et convaincante, se frottant les mains – y compris contre le blason du médecin – de manière compulsive, alliant toute la force du personnage à sa faiblesse et à son écroulement psychique. Quant à la prononciation, elle est soignée et appréciable, tout comme pour l’ensemble de la distribution.

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La Banco de Giovanni Battista Parodi s’avère lui aussi solide, avec une belle rondeur dans l’émission. La ligne de chant est harmonieuse, et le personnage très humain. Ses apparitions fantomatiques montrent quant à elles un personnage puissant dans la mort. La puissance, c’est aussi ce qui caractérise la voix et la projection de Samy Camps, toutes deux très solaires. Le Malcolm de Léo Vermot Desroches est pour sa part plus dramatique, ce qui rend leur duo patriotique fort appréciable, les deux voix s’alliant et se portant l’une l’autre. Cyrielle Ndjiki brille particulièrement de tout son soprano lumineux et radieux, faisant regretter que le rôle de la suivante de Lady Macbeth n’ait pas davantage d’airs. D’autant plus qu’elle a sur scène une véritable présence.

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Enfin, les rôles du médecin (Geoffroy Buffière), du hérault (Laurent Pouliaude) et des apparitions (Christophe de Biase, Catherine Séon et Charlotte Lutz ou Elisa Chenel Monnier) n’ont pas à rougir, même si le décor rend difficile à entendre les voix de ces dernières depuis les coulisses.

A la tête l’Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire, Giuseppe Grazioli maîtrise la partition et en fait miroiter toutes les riches couleurs, marquant les ruptures et les atmosphères. Le Chœur lyrique Saint-Etienne Loire, dirigé par Laurent Touche et particulièrement attendu dans cette œuvre, connaît parfois quelques très légers décalages du côté féminin, mais se retrouve parfaitement à l’unisson dans les parties d’ensemble, et tout particulièrement pour le célèbre « patria oppressa ».

Ainsi, comme à chaque fois que nous nous rendons à l’Opéra de Saint-Etienne, nous passons avec cette production un bon moment, dont les quelques petits défauts ne viennent pas ternir l’impression globale. Le public ne cache d’ailleurs pas sa joie lors des saluts, et a bien raison de réserver un accueil chaleureux à l’ensemble des artistes.

Elodie Martinez
(St-Etienne, le 18 juin 2023)

Macbeth à l'Opéra de St-Etienne, jusqu'au 20 juin 2023.

© Cyrille Cauvet

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