Le Coq d'or de Barrie Kosky étincelle et brille à l'Opéra de Lyon

Xl_lecoqdor2pg__jeanlouisfernandez_015 © Jean-Louis Fernandez

Après avoir été privée de plusieurs dates suite à son occupation, la nouvelle production du Coq d’or de l’Opéra National de Lyon – en partenariat avec le festival d’Aix-en-Provence où elle sera finalement donnée cet été – a enfin pu voir le jour, pour le plus grand plaisir du public qui a pu découvrir la mise en scène de Barrie Kosky. Si, dans la note d’intention, le metteur en scène indique : « Je ne peux dire quel est le sens de cet opéra », force est de constater qu’il parvient parfaitement à offrir un très beau et bon spectacle, empreint d’onirisme, de burlesque, de satyre, de comique et de drame.


Nina Minasyan (Reine de Chemakha) ; © Jean-Louis Fernandez

Le Coq d’or, Opéra de Lyon ; © Jean-Louis Fernandez

Difficile en effet de cerner le dernier opéra de Rimsky-Korsakov, inspiré d'un conte de Pouchkine et particulièrement à charge contre la politique paresseuse, oisive et décadente, soutenue par une population pas  toujours suffisamment éclairée… Une critique malheureusement atemporelle qui, si elle valut  au compositeur quelques soucis avec la censure lors de la création de l’œuvre, trouve toujours un écho on ne peut plus vivace de nos jours. C’est entre autre cette capacité à se fondre dans toutes les époques et tous les lieux qu’est parvenu à saisir Barrie Kosky en plongeant la production dans un environnement extérieur, jonché d’herbes hautes et sèches, dans un décor en pente signé Rufus Didwiszus où trône un arbre mort qui servira tantôt de perchoir, tantôt de potence selon l’acte. Une transposition aussi simple – du moins en apparence – qu’efficace, qui nous porte dans les landes russes mais également dans bien d’autres pays du monde. Les costumes, de Victoria Behr, rejoignent cette même philosophie en optant pour des tenues contemporaines, mais aussi un peu passées (comme la robe de la Reine faisant penser à une meneuse de revue des années 1920), ou totalement éclectiques pour le peuple dans le dernier acte. Détaché de références précises, le spectateur peut se laisser porter dans ce conte, ce « rêve » ainsi que l’appelle l’Astrologue. Cela n’empêche pas pour autant de voir dans les deux princes deux figures de « politiciens-types », voire de « politicards ». Fermée par trois murs peints aux allures d’aquarelle, prolongeant le paysage, on pourrait aussi y voir les pages d’un vieux livre de conte au milieu duquel s’agite le Tsar Dodon, tyran grotesque en marcel et caleçon long crasseux, aux accents parfois enfantins. Les lumières de Franck Evin participent également à la mise en scène, presque aussi efficaces qu’un changement de décors, entre atmosphères et ombres projetées telles la pensée d’un personnage.

La fantaisie et la légèreté du rêve sont donc bien présentes, mais le metteur en scène n’en oublie pas pour autant les autres pendants plus durs et violents de l'ouvrage, ni la sensualité quasi érotique qui s’insinue avec la Reine de Chemakha. La direction d’acteurs permet de faire reposer sur les épaules des interprètes certains traits de lecture, mais le metteur en scène n'esquive pas les deux princes décapités qui restent suspendus à l’arbre durant le second acte alors que la Reine charme le Tsar ou que celui-ci danse ; les têtes d’Aphron et Gvidon jetées comme de simples objets ; l’assassinat violent de l’Astrologue et ses éclaboussures de sang ; sans oublier la fin tragique de Dodon, énucléé par le coq d’or qui ne s’arrêtera d’ailleurs pas là… Pourtant, ces images violentes ne traumatisent pas le spectateur et s’insèrent avec brio dans ce qui, au final, n’était qu’un rêve d’après l’Astrologue décapité qui revient, sa tête à la main, pour conclure la soirée en s’adressant au public. On notera d’ailleurs que le Tsar s’adressait lui aussi à la salle comme si elle était son peuple en début de soirée, renforçant l’écho entre l’œuvre et le public, ainsi que sa dimension merveilleuse.


Dmitry Ulyanov (Tsar Dodon) et Nina Minasyan (Reine de Chemakha) ;
© Jean-Louis Fernandez

Côté voix, la distribution est une grande réussite elle aussi. On n’en attendait pas moins il est vrai de Dmitry Ulyanov, déjà entendu ici-même en Attila il y a trois ans. Le superbe de cette voix de basse demeure magistral de bout en bout, entre projection, diction, couleurs et nuances. Tout est là, des profondeurs abyssales d’un tyran assassin à l’inquiétude ou au grotesque. Le jeu mérite lui aussi bien des éloges, parvenant à arborer des mimiques enfantines de roi capricieux, à la tristesse d’un père ayant perdu ses enfants sans que cela ne soit non plus une immense tragédie, ou encore à l’attirance adolescente face à la Reine, en passant par bien des gaucheries et un ridicule qui ne se risquent jamais à flirter avec l’excès.

Face à lui, la Reine de Chemakha de Nina Minasyan est un monstre de sensualité, à la fois glaciale et inaccessible mais aussi captivante et attirante, dotée d’une voix puissante, colorée, d’une lumière à l’éclat sombre. Si l’on ne peut pas nier que Nina Minasyan a le physique de l'emploi, il ne faut pas non plus oublier la posture, les gestes, la coiffure ou la démarche qu’offre la soprano et qui contribuent au personnage. Apparaissant ornée d’une impressionnante coiffe de plumes, manteau violet sur une tenue toute de paillettes et laissant voir une certaine transparence, avant de finir dans le dernier acte dans une sorte de peignoir orange, elle est celle qui apporte la couleur à l’ensemble (couleur que l’on retrouvera dans l’espèce de carnaval du peuple). Maîtrisant la partition pour l’avoir déjà chantée à Madrid et Bruxelles, elle parvient à faire de sa voix une arme de sensualité. Nous berçant dans le jeu des notes, elle happe et entraîne jusqu’à elle, faisant vibrer les cœurs au rythme de ses intonations. Elle parvient également à atteindre des notes atmosphériques, dans une ligne de chant aérienne qui n’en oublie pas pour autant le caustique, l’ironie ou la cruauté du personnage (notamment dans ses paroles finales). 

La puissance est également ce qui caractérise la voix d’Andrei Popov en Astrologue, et parfois même trop, laissant entendre un chant qui « hurle » : nul besoin de tant de projection lorsque l’orchestre fait toute la place nécessaire à la voix. Outre ce bémol, le ténor offre une très belle prestation, affublant son personnage de mystère, tantôt vieillard fragile puis homme plus vigoureux avant de finir assez fort pour chanter décapité !


Le Coq d’or, Opéra de Lyon ; © Jean-Louis Fernandez

A côté de ces trois protagonistes principaux viennent se greffer d’autres personnages plus secondaires, qui permettent néanmoins de donner toute sa dimension à l’œuvre et aux autres solistes, à commencer par les deux fils du Tsar, Aphron et Gvidon, interprétés respectivement par Andrei Zhilikhovsky et Vasily Efimov d’une égale satisfaction, révélant la rivalité qui les perdra sans pour autant entraver dans leur jeu. Margarita Nekrasova est une Amelfa solide, malgré quelques petites fatigues qui viennent parfois se faire sentir dans la projection ou le souffle. Le Polkan de Mischa Schelomianski tient lui aussi la route, caché sous – ou plutôt dans – sa tête de cheval identiques à celles portées par le chœur durant toute la première partie de la soirée. Enfin, Maria Nazarova allie sa voix d’or depuis les coulisses à Wilfried Gonon, Coq déplumé sur scène, pied nu d’un côté mais arborant une chaussure à talon de l’autre, il fait du volatile un véritable être vivant mystérieux et inquiétant.

A la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni salue chaleureusement le public lors de son entrée dans la fosse avant de diriger avec tout le talent qu’on lui connaît ce Coq d’or, parvenant à faire ressortir l’âme slave de la partition ainsi que toutes ses couleurs et ses nuances. Les chœurs de la maison, dirigés par Roberto Balistreri, font également honneur à l’œuvre de Rimsky-Korsakov, sans oublier les quatre danseurs qui viennent s’adjoindre à cette production en apportant de très plaisants interludes sur des chorégraphies d’Otto Pichler.

Au final, bien que la production – qui devait initialement être créée l’été dernier à Aix-en-Provence – ait rencontré plusieurs difficultés avant de voir le jour, c’est une véritable réussite qu’il aurait été dommage de ne pas voir naître. En proposant ce spectacle comme ultime opéra de son mandat, Serge Dorny quitte l’Opéra de Lyon sur une belle note et sur un succès que l’on espère voir capté. D’ici là, c’est avec un réel plaisir que nous le retrouverons au festival de cet été.

Elodie Martinez

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