Chronique d'album : Miroir(s) d'Elsa Dreisig

Xl_miroirs © DR

Difficile de passer à côté de la jeune soprano franco-danoise Elsa Dreisig depuis quelque temps : après le Second Prix au Concours Reine Sonja à Oslo, le Premier Prix féminin et le Prix du public au concours "Neue Stimmen" de la fondation Bertelsmann à Gütersloh ou encore le "Prix du jeune soliste 2015 des radios francophones publiques" cumulés en 2015, puis sa nomination en tant que "Révélation Artiste Lyrique" aux Victoires de la Musique Classique 2016 et le Premier Prix féminin du prestigieux concours « Operalia » la même année, celle qui est actuellement Dircé aux côtés de la Médée de Sonya Yoncheva à la Staatsoper Unter den Linden Berlin vient de sortir son premier album chez Erato, Miroir(s), accompagnée par l'Orchestre national de Montpellier Occitanie sous la baguette de Michael Schønwandt. Un album qu’elle défend par ailleurs dans une série de récital, dont un donné au Théâtre des Champs-Elysées ce samedi 13 octobre.

L’idée de l’album est a fortiori des plus plaisantes, de même que la réflexion qui l’accompagne. En effet, le titre naît de l’idée de mettre en face-à-face, en « miroir », un même personnage par deux compositeurs afin de « nous ouvrir les yeux sur les différents visages d’une même femme » (dixit le livret de l’album). Le principe est d’autant plus intéressant que les airs choisis ne sont pas toujours les plus connus, comme celui extrait de Roméo et Juliette de Steibelt, « Je vais donc usurper les droits de la nature », face à l’œuvre plus connue de Gounod mais dont l’extrait est lui aussi enregistré pour la première fois puisqu’il s’agit du célèbre « Dieu ! Quel frisson court dans mes veines ? » qui apparait ici dans sa version originale, c’est-à-dire non coupée. Outre Juliette, Manon ou Rosina sont également mises en miroir dans les œuvres de Puccini et Massenet d’une part, Rossini et Mozart d’autre part. En clôture d’album, la soprano s’attaque à Salomé dans deux versions aux antipodes l’une de l’autre : celle de l’Hérodiade de Massenet avec « Celui dont la parole efface toute peine… il est doux » et celle de la Salomé de Strauss avec « Ah ! Tu n’as pas voulu », donc dans sa version française de 1907 moins enregistrée que l’allemande. Enfin, l’idée de débuter l’album par un jeu de deux miroirs, ceux de Marguerite (dans le Faust de Gounod) et de Thaïs (Thaïs de Massenet) est une belle ouverture sur le thème de l'album, rappelant également la contemplation qui naît de l’observation dans un miroir, et faisant écho aux premiers mots d’Elsa Dreisig dans le livret : « Enfant, je me regardais chanter. Je ne cherchais pas seulement à entendre ma voix, je voulais la voir ».

Le programme de l’album est donc finement pensé, mais l’est-il pour la voix d’Elsa Dreisig ? Dès le deuxième titre, on peut se poser la question avec quelques graves qui semblent forcées, mais ce que l’on note et qui perdurera tout le long de l’album est l'excès de force qui semble mis dans les aigus, disproportionnée à ce dont on a besoin sur un enregistrment. Comme si la soprano chantait avec la même projection que dans une grande salle imposant d'emplir l’air de sa voix, alors qu’ici, tout est concentré et donne un résultat parfois « strident ». Il ne s’agit pas là d’une question de justesse dans les notes (nous ne discutons pas de ce point), mais plutôt d’intensité. L’équilibre avec l’orchestre (très bien dirigé par Michael Schønwandt) n’est donc pas toujours au rendez-vous, de même que la diction, excellente dans les graves et les mediums, mais qui se perd beaucoup dans les aigus (où elle est plus difficile à tenir). Finalement, si Gounod semble convenir à sa voix (y compris pour l’extrait de Juliette), il est peut-être un peu tôt pour Massenet. 

Ainsi, si le concept de cet album a de quoi ravir et encourage à ce qu'on s’y intéresse, les airs mériteraient, eux, parfois davantage de polissage et de retenue dans cet ensemble manquant finalement d’homogénéité. Toutefois, les fans de la soprano trouveront probablement leur compte dans ce premier album qui lui laisse (parfois un peu trop) déployer sa voix dans des airs variés, dont certains sont peut-être abordés un peu trop tôt. On sera quoi qu'il en soit curieux de le découvrir en récital...

Elodie Martinez

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