Chronique d'album : "Amazone", de Lea Desandre

Xl_amazone_lea_desandre © DR

Aujourd’hui sort chez Erato-Warner Classics le nouveau disque de Lea Desandre, qui est également le premier de la mezzo-soprano sous ce label (du moins en solo, puisque nous avions déjà pu apprécier Italian Cantatas enregistré avec Sabine Devieilhe en 2018). Pour l’occasion, le programme annoncé dès le titre de la couverture, Amazone, fait la part belle à cette figure emblématique de la femme guerrière dont les exemples foisonnent dans le répertoire lyrique, y compris dans le domaine baroque sélectionné ici. Pas moins de quinze premiers enregistrements mondiaux jalonnent l’écoute de ce disque, dans lequel Lea Desandre est accompagnée par Thomas Dunford à la tête de l’ensemble Jupiter, mais aussi par Cecilia Bartoli, Véronique Gens et William Christie (au clavecin), sans oublier l'appui de Yannis François qui a créé le programme. Pour reprendre ses mots, « dans ce programme, l’auditeur passera du fou rire d’un jeune page subjugué par cette île entièrement dirigée par des femmes, aux lamentations de Ménalippe, à la folie de Marthésie, à la colère de Celinda (qui est en réalité un homme, le prince Idaspe, déguisé en Amazone pour se rapprocher d’Antiope), ou encore à un duo d’amour déchirant ! Une palette variée d’émotions portées à leur paroxysme par l’instrument magique de Lea Desandre ».

Ingénieusement, le disque s’ouvre par des percussions crescendo qui font penser au trot d’un cheval, nous plongeant derechef dans la thématique de l’Amazone. D’autant plus que l’air, « Non posso far » (Lo schiavo di sua moglie, de Francesco Provenzale, en première mondiale), est un véritable avertissement pour quiconque – ou plus précisément les « faibles hommes » – s’aventure à la rencontre de ces combattantes, le tout sur un ton jouissif agrémenté d’éclats de rire. Le second extrait de l’œuvre, « Lasciatemi morir, stelle crudeli », plonge l’auditeur dans une lamentation indiquant ainsi que l’écoute sera loin d’être monotone, et que les rythmes alterneront, guidant ainsi l’oreille. Aux élans guerriers ou langoureux peuvent alterner la légèreté, comme dans « Vieni, corri, volami in braccio » (L’Antiope) qui est un véritable plaisir d’écoute.

Difficile toutefois de faire l’impasse sur le somptueux duo que Lea Desandre nous offre avec Cecilia Bartoli, « Io piango » / « Io peno », entre Mitilene et Amidoro. Cet extrait de Mitilene, regina delle amazzoni est lui aussi présenté en première mondiale et marque une parenthèse qui nous happe dans cet échange entre ces deux êtres qui, en ne se demandant rien, se donnent tout dans une langoureuse souffrance. Les deux artistes font vivre leur interprétation commune dans ce dialogue de voix qui se nourrissent l’une et l’autre pour une émotion  évidente.

L’autre duo (vocal) attendu est bien sûr celui avec Véronique Gens, d’autant plus qu’il permet de basculer en langue française et d’apprécier là encore une excellente diction. Avec « Venez, troupe guerrière… Puisque tout est tranquille… Combattons, courrons à la gloire » (Les Amazones, d’André Danican Philidor), il n’est pas difficile de laisser aller son imagination et visualiser la scène de cette marche, de ces récits et de ce duo, de se laisser porter à cet appel guerrier. La parenthèse française se refermera avec Destouches et Marthésie, première reine des amazones, dont on entend également « Ô Mort ! Ô triste Mort », empli de désespoir, avant ce « Quel coup me réservait la colère céleste » très pictural.

On ne peut s’arrêter sur l’ensemble des airs, ni même seulement sur les premiers enregistrements au disque, mais citons tout de même les deux derniers airs du disque, en commençant par « Scenderò, volerò, griderò », dernier extrait de l’Ercole sul Termodonte de Vivaldi, compositeur qu’apprécient particulièrement Lea Desandre et Thomas Dunford, la mezzo-soprano qualifiant sa musique de « trésor sans fin » lorsque nous l’avions rencontrée en avril dernier. La tempête fougueuse se déchaîne dans cette pénultième piste, pleine d’énergie, dans une ligne de chant attaquante, vive et entraînante, tandis que le dernier chant – dont les paroles sont absentes du livret – nous plonge dans un appel moins tonitruant et davantage sororal. Il s’agit d’ailleurs de l’unique air qui n’appartienne pas au registre baroque, puisqu’il est signé par Thomas Dunford lui-même, qui peut faire écho au poème d’Erik Orsenna présent dans le livret.

L’ensemble Jupiter et son chef ont déjà travaillé avec Lea Desandre, et l’harmonie entre eux ne s’en ressent que plus naturellement. L’ensemble offre de belles couleurs, un accompagnement sans faille, et de très belles pages musicales, sans oublier la Passacaille de Couperin au clavecin de William Christie. Les tempi peuvent être fougueux ou posés, mais jamais sans intention ni attention. Une belle alliance avec cette voix parfaitement maîtrisée, à l’aise dans chaque élan comme dans chaque retrait, dans l’excès comme dans la retenue, transformant chaque note en petit bonheur pour l’oreille qui se régale du début à la fin.

Le disque multiplie ainsi les intérêts articulés autour de cette thématique originale des Amazones que l’on n’imaginait pas si riche de références, et qui donne envie de poursuivre dans la découverte. Un beau projet, exécuté avec réussite, qui devrait ravir le public qui pourra l’entendre en concert.

Elodie Martinez

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