Il Barbiere di Siviglia à la Fenice, une voix au pupitre pour un hymne à la joie

Xl_barbier-seville-fenice-2018 © Manuel Silvestri

Pour commémorer le 150ème anniversaire de la mort de Rossini, le théâtre de la Fenice a convié pour ce Barbier de Séville l’éclectique ténor Gregory Kunde dans la fosse, et a ressorti de beaux habits, ceux de la mise en scène de Bepi Morassi, désormais un classique de la scène vénitienne, sublimé par les lumières de Vilmo Furian. C’est donc dans cette parure que la plus populaire des œuvres de Rossini s’est offerte à nos regards ce mercredi soir et ce, en alternance avec une autre luxuriante composition du Maître de Pesaro, Sémiramide. Outre la présence de Gregory Kunde au pupitre, cette double affiche constituait sans conteste une exaltante tentation pour s’accoster aux rives de  la cité des Doges en ce mois d’octobre.


Le Barbier de Séville; © teatro della Fenice/Manuel Silvestri

Evitant les effets surabondants dont on pare habituellement le Barbier de Séville qui font des personnages des caricatures d’eux-mêmes, la mise en scène de Bepi Morassi, d’apparence classique, n’en est pas moins captivante pour le rythme qu’elle instaure et sa recherche permanente du timing idéal où chaque geste, chaque ressort comique, est parfaitement calibré pour tomber à point nommé. En est-il ainsi des trois accords de blues que Almaviva fait jaillir de sa guitare pendant sa sérénade amoureuse, ou la gestuelle de Figaro qui manie soudainement le rasoir sous le nez de Bartolo comme un accessoire d’art martial, clin d’œil aux origines asiatiques de son formidable interprète Julian Kim. Dans un décor dominé par le rouge carmin, couleur majeure du nuancier des passions humaines, les personnages sont perpétuellement en mouvement, dans un tourbillon étourdissant qui emprunte beaucoup à la comédie musicale. Ainsi le duo Figaro / Almaviva, de All’idea di quel metallo joue de la canne dans un numéro dansé à la manière de Ginger Rogers et Fred Astaire, qui semble tout droit sorti du film Top hat. De même, l’air de La calumnia est une partie de carte chorégraphiée entre Basilio et Bartolo, où la rumeur s’insinue, tel un serpent dansant, pour faire et défaire les réputations et redistribuer ainsi les cartes du destin, en maniant l’art visqueux de la contrevérité. Cette dynamique galvanisante baignée dans les somptueux jeux de lumière de Vilmo Furian, confère une fraicheur indéniable à cette production qui devient ainsi un écrin idéal pour cette distribution de jeunes chanteurs pleine d’allant. La fluidité de leurs jeux, leur interaction sur scène, et leur complicité évidente avec la fosse d’orchestre où officiait Gregory Kunde, a indéniablement contribué au succès de cette soirée.


Julian Kim en Figaro ; © Teatro della Fenice/Manuel Silvestri

Loin de la forfanterie habituelle, le Figaro de Julian Kim, à la voix solide et puissante et au timbre soyeux est un feu follet d’une noble présence, conférant au Largo al factotum une belle sobriété comme pour mieux nous en distiller la sève. Il se sait homme du peuple mais il connait aussi la force de son ingéniosité sans l’ériger pour autant en étendard. S’éloignant du stéréotype de la jeune fille sous tutelle diaboliquement astucieuse et vainement capricieuse, Chiara Amarù propose de Rosina un portrait moderne d’une jeune femme libre et déterminée. Il y a dans l’agilité de cette voix souple, aux aigus stratosphériques, une intensité expressive qui dépasse la seule virtuosité vocale qui fait de Contro un cor che accende amore un moment de pure émotion. Après un Ecco ridente in cielo en demi-teinte en ouverture, où  sa voix a manqué quelque peu de souplesse et d’homogénéité, le ténor Francisco Brito s’est rapidement repris pour interpréter un Almaviva au timbre pur et à l’aigu rayonnant en se distinguant, en outre, par un phrasé élégant dans Se il mio nome saper voi bramate, où d’ailleurs il s’accompagne lui-même à la guitare. Sur le plan dramatique, il sait à merveille habiter les différentes facettes du personnage, de l’histrion se parant de divers travestissements pour se jouer de Bartolo à l’homme porté par les raisons du cœur. Loin des traditionnels Bartolo poussifs, Omar Montanari, allie un beau timbre barytonal et un phrasé de belle tenue, à une interprétation remarquable de justesse du personnage. Son A un dottor della mia sorte sonne alors comme les élans inquiets d’un cœur sur le qui-vive. Quant au Basilio de Mattia Denti, même s’il s’abandonne à une certaine théâtralité, dans l’air de la Calomnie, il ne tombe jamais dans les écueils de l’exagération. Jouant avec subtilité du parlando distillant la rumeur murmurante qui s’insinue dans les interstices des esprits, il  confère à  Basilio une belle présence en s’illustrant également par un registre aigu puissant avec des notes superbement projetées. La spirituelle Giovanna Donadini dans le rôle de Berta, au timbre suave et chaud, a enchanté le public avec un abattage et une verve à toute épreuve dans Il vecchiotto cerca moglie. Omniprésente sur scène et, de surcroit, affublée d’un rire sardonique, cette Berta rappelle ainsi ironiquement à Rosina qu’elle n’est pas la seule femme de l’histoire… 


Gregory Kunde dirigeant Le Barbier de Séville;
© Téatro della Fenice/Manuel Silvestri

Mais le point de convergence de tous les regards présents en cette soirée était incontestablement la fosse où officiait Gregory Kunde. Après ses débuts comme directeur d’orchestre au festival Donizetti de Bergame pour Maria di Rohan, le ténor américain poursuit cette seconde carrière avec ce Barbier de Séville à Venise. Il confère ici à sa direction une grande douceur visant à valoriser les voix dans les passages les plus virtuoses des airs. Toutefois, loin de n’être qu’un chef d’orchestre lyrique attentif aux chanteurs, il sait mettre en lumière toutes les nuances du riche tissu orchestral rossinien dans un style subtil et élégant. L’ouverture en est, à cet égard, une belle illustration. Gregory Kunde y associe habilement sens de la mesure et expressivité jusque dans chacun des motifs des solos de flute et de percussion. Il y a dans cette approche, une sorte de légèreté mozartienne qui confère soyeux et brillance à cette lecture du Barbier de Séville, laquelle a littéralement conquis le public.

C’est en effet sous une pluie diluvienne d’applaudissements que s’est achevée la représentation, les spectateurs congratulant toute à la fois le chef, les interprètes, et le travail scénographique dans ses habits de lumière. Cette soirée s’annonçait agréable elle s’est révélée délicieuse, comme un présent de fin d’année dont il nous est fait l’offrande avant l’heure.

Brigitte Maroillat

En marge de cette représentation du Barbier de Séville à la Fenice, nous avons eu l’occasion d’interroger Gregory Kunde sur cette évolution de carrière le conduisant aujourd’hui à diriger des orchestres d’opéra. Il retrace son parcours et ses ambitions de chef.

Gregory KundeGregory Kunde : j’ai débuté ma formation musicale à l’université, en tant que chef de chœur. Après trois ans et demi d’étude, j’ai décidé de m’orienter vers le chant. Mais mon cœur m’a toujours guidé vers la direction et après vingt ans de carrière de chanteur, en 1999, j’ai fondé un chœur amateur dans ma ville natale, à Rochester (la Gregory Kunde Chorale), qui se produit trois fois par an en concert, dont deux avec orchestre. C’est ainsi que je me suis préparé à faire face à un orchestre. Depuis sept ou huit ans, j’essaie d’intégrer la direction à mon emploi du temps et en 2011, j’ai dirigé Maria di Rohan, de Donizetti, au Festival de Bergame. C’était ma première fois au pupitre en tant que chef pour un opéra. Depuis lors, du fait de mon emploi du temps de chanteur, je n’ai eu que quelques occasions de diriger, et aujourd’hui ici à Venise, l’idée en revient à Fortunato Ortombina, le Sovrintendente (le directeur artistique) de la Fenice. Bien sûr, j’ai sauté sur l’occasion de faire ce que j’adore, c’est-à-dire diriger et guider de jeunes chanteurs dans ce répertoire. J’espère pouvoir réitérer cette expérience plus souvent dans les prochaines années et à vrai dire, j’aimerais poursuivre une carrière de chef d’orchestre quand je déciderai d’arrêter de chanter. Ma passion me porte aujourd’hui vers le soutien à la jeune génération de chanteurs. J'espère être en mesure d’être utile en partageant mon expérience en matière d'encadrement et de direction. Dans un futur proche, je me consacrerai principalement au répertoire bel cantiste, et j’espère l’étendre à l’avenir, peut-être à quelques œuvres verdiennes.

Propos recueillis par Brigitte Maroillat

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