Tancredi de Rossini au Théâtre des Champs-Elysées

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Après Otello, le Theâtre des Champs Elysées poursuit son ‘Festival Rossini’ avec Tancrède un autre opera seria du compositeur italien - pourtant plus célèbre pour ses opéras-bouffes. Quiproquo funeste, trahisons, dépit amoureux, héroïne sacrifiée : tous les ingrédients sont là pour faire pleurer le chaland. D’autant que la version présentée est celle dite ‘de Ferrare’, à l’issue plus tragique que celle initialement créée à Venise qui se terminait, elle, par le mariage des deux héros. Mais si cette union des amoureux est contrariée par le livret, elle s’avère très heureuse sur le plan vocal car la partition offre de sublimes duos à Tancrède et à son Amenaïde, rôles tenus ici par Marie-Nicole Lemieux et Patrizia Ciofi.

Très attendue pour cette prise de rôle, la contralto québécoise se révèle exceptionnelle. Dès les premières notes, le timbre de velours de la chanteuse emporte les faveurs de l’auditeur. La voix est ronde, longue et les nuances - d’un raffinement extrême – accentuent savamment le déchirement auquel Tancrède est en proie. Au Ier acte, le célèbre air « Di tanti palpiti » est interprété avec une grâce inouïe, et même allongée sur un divan dans des poses ‘psychanalytico-érotiques’ au IIe acte, la chanteuse parvient à rester émouvante. Grimée en jeune homme barbu, costume trois pièces puis habit militaire, Marie-Nicole Lemieux prend ce rôle de guerrier amoureux à bras le corps et l’habite avec beaucoup de conviction.
À ses côtés, tailleur blanc immaculé et chignon banane, Patrizia Ciofi – son Amenaide – apparaît plus First Lady que jeune première. Mais c’est elle qui se révèle, plus encore que le rôle-titre, l’héroïne majeure, et superbe, de cette œuvre tragique. La voix est légère, agile, les vocalises impeccables et le chant des plus raffiné. Si les mediums semblent un peu voilés ce soir de la première, les aigus sont, comme toujours, d’une pureté renversante. Elle remporte notamment un véritable triomphe avec l’air particulièrement acrobatique « Ah d’amor in tal momento » au IIe acte.
Quant au reste du plateau – à part la soprano Sarah Tynan dans le rôle de Roggiero qui s’avère joli commentateur – il peine à se montrer à la hauteur. Notamment le ténor Antonino Siragusa (Argerio), pourtant familier du répertoire rossinien, qui émaille ses airs de nombreuses fausses notes. Les aigus sont expulsés avec force, les graves souvent inaudibles et le phrasé semble taillé à la hache.

Habillés de costumes austères, les chanteurs évoluent sous l’œil paresseux du metteur en scène Jacques Osinski, qui a choisi de rappeler au public la portée politique originelle de l’œuvre en la plaçant dans une sorte d’ambassade moderne. Mais à l’image des vestons de ses chœurs, la mise en scène s’avère grise et terne. Si elle ne mérite pas les huées qui ont accompagné les saluts du metteur en scène, elle trahit néanmoins un vrai manque d’idées.

Côté orchestre, les cordes du Philharmonique de Radio France semblent un peu bridées par la direction rigide d’Enrique Mazzola, mais les percussions et les vents parviennent à tirer leur épingle du jeu et s’avèrent particulièrement brillants.
Cependant – outre la perfection des deux interprètes principales – c’est dans la partition de ce Rossini de 21 ans que réside le principal intérêt de Tancredi. Si les récitatifs rappellent clairement Mozart, les arias et ensembles nous entraînent du côté de Donizetti voire de Verdi et c’est dans l’emballement effréné des cordes que l’on devine les prémices du Rossini au style plus affirmé du Barbier de Séville ou de La Cenerentola. La partition manque, certes, un peu d’unité, le compositeur se cherche, esquisse des effets qui n’aboutissent pas toujours (par exemple les sublimes passages en canon dans l’ensemble de la fin du Ier acte) mais la musique est belle et les voix mises en valeur avec élégance. Ce  Rossini vert et sérieux ne manque donc pas d’appâts. Servi par les grâces vocales de Marie Nicole Lemieux et Patrizia Ciofi, il se révèle même un rendez-vous musical d’exception.

Albina Belabiod

Tancredi de Rossini, jusqu’au 27 mai au Théâtre des Champs Elysées à Paris
theatredeschampselysees.fr

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