Eclatant Rameau : Castor et Pollux au Théâtre des Champs Elysées

Xl_castor-et-pollux-tce © DR

Le grandiose ayant déserté les productions scéniques du Théâtre des Champs Elysées depuis quelques saisons déjà, ce n’est pas du côté de la mise en scène de Christian Schiaretti qu’il faut chercher l’opulence dans cette nouvelle production de Castor et Pollux, mais du côté de la fosse. En effet, si les sentiments sont mitigés à bien des égards sur les décors, les scènes de ballets et la distribution, Le Concert Spirituel dirigé par Hervé Niquet fait résonner la musique de Rameau comme jamais. L’énergie déployée par le chef est contagieuse et l’orchestre tout comme le chœur réservent au chef d’œuvre baroque un investissement très profitable.
Le maestro français est magistral dans cette musique ; les nuances sont superbes et toutes les couleurs de la partition sont soulignées sans effets. Les percussions habillent avec précision les scènes guerrières et les cordes, tantôt larmoyantes pour accompagner les lamenti, tantôt  tempétueuses pour souligner la fureur, sont des plus expressives. De plus, l’attention portée au plateau ne se relâche jamais. Les ensembles vocaux, tout comme les chœurs, sont des plus remarquables : le travail précis sur la diction (d’autant plus impressionnant que le décor prive souvent le spectateur des surtitres) et la rigueur rythmique mettent en valeur tout le raffinement de l’écriture ramiste.

Mais si Niquet confirme sa réputation de grand chef de chant, la distribution quant à elle est aussi inégale que l’orchestre et le chœur sont harmonieux. A commencer par les deux rôles titre : tandis que le Pollux d’Edwin Crossley-Mercer – qui habite son rôle d’immortel guerrier avec majesté – révèle un timbre admirablement mature et un vibrato riche, le ténor John Tessier, doté d’une belle longueur de voix et d’une aisance dans les vocalises, gâche malheureusement certains airs par des problèmes de justesse récurrents.  
Même constat du côté des voix féminines. La mezzo-soprano Michèle Losier, voix puissante et timbre grave superbe, s’avère une Phoebé très convaincante grâce à un tempérament parfaitement adapté aux airs de fureur de la rivale de Télaïre. Ce dernier rôle est tenu par la jeune soprano Omo Bello qui fait ici ses débuts dans l’opéra baroque. Sans doute gênée par le trac, la jeune femme, encensée dans ses précédents rôles, s’avère assez décevante dans ce répertoire. Le phrasé manque de fluidité et les problèmes de justesse autant que de rythme sont fréquents ; heureusement, quand la voix a l’occasion de s’épanouir elle contient de belles  promesses.
A leurs côtés, les rôles secondaires s’avèrent très bien distribués, notamment avec la révélation de la toute jeune soprano Hasnaa Bennani qui réveille le plateau d’une voix claire très gracieuse à deux reprises : deux interventions aussi courtes que plaisantes.

Tous évoluent dans un décor qui n’est autre qu’une extension du Théâtre des Champs Elysées lui-même, avec ses colonnes dorées, son marbre et ses luminaires arts déco. Les costumes, intemporels, sont les seuls rappels explicites à l’Antiquité (drapés, cuirasses, boucliers…). Décor unique et direction d’acteurs inexistante, la première partie est aussi morne et grise que la seconde devient magique. Le quatrième acte se montre des plus inspirés, nous entraînant dans un univers parallèle ensorceleur. Les enfers s’y trouvent habités de créatures griffues diaboliques et de flammes inquiétantes.

Dans cette deuxième partie, c’est la lumière qui assure la féérie du spectacle. Le monde des mortels est baigné d’une luminosité douce, symbolisant les plaisirs auquel renoncent ceux qui traversent le rivage, contrastant avec un enfer rougeoyant et brumeux, avant de laisser le spectateur s’émerveiller devant une représentation envoûtante du cosmos (grâce une projection vidéo constellée d’astres lumineux). Une fin magistrale qui permet presque d’oublier les gesticulations insupportables des danseurs ponctuant le spectacle lors des scènes de ballets. Représentant les rapports entre les êtres – tantôt arts martiaux pour les scènes de guerre, tantôt danses langoureuses pour signifier l’amour – les chorégraphies d’Andonis Foniadakis tournent rapidement à l’auto caricature de danse contemporaine.

Demeure de ce spectacle la sensation d’avoir célébré l’anniversaire Rameau avec l’un de ses meilleurs ambassadeurs : le chef Hervé Niquet et son Concert Spirituel.

Albina Belabiod

Castor et Pollux jusqu’au 21 octobre au Théâtre des Champs Elysées www.theatrechampselysees.fr

Rameau 2014, pour aller plus loin :

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