Adrienne Lecouvreur sacrifiée à l’Opéra Bastille

Xl_adriana-lecouvreur-c-vincent-pontet-op_ra-national-de-paris-15 © DR

Impitoyable Bastille ! Telle une gorgone inflexible, la salle de l’Opéra de Paris engloutit quiconque ose s’aventurer dans ses volumes cruels avec une tessiture trop légère. Et c’est une des plus belles voix actuelles qui fait malheureusement les frais de cette règle imparable. Car, si l’on attendait avec impatience la venue de cette production d'Adriana Lecouvreur, déjà passée par Londres, Vienne, Barcelone et San Francisco, ce n’était pas pour la mise en scène de David Mc Vicar – pourtant flamboyante avec ses décors fastueux et ses magnifiques costumes du XVIIIe siècle –, ni pour le chef Daniel Oren – qui effectue toutefois ici un beau travail tout en précision avec l’Orchestre de l’Opéra –, non, celle que tout le monde vient voir et entendre, c’est bien la star Angela Gheorghiu dont le tempérament de diva semblait idéal pour interpréter le rôle de la tragédienne qui enflamma les planches de la Comédie Française sous le règne de Louis XV.

Or si la vision est satisfaite par cette irrésistible beauté brune, adepte des minauderies et des poses tragiques, l’ouïe, elle, peine à être comblée. Certes, le timbre est toujours aussi joli, la voix toujours aussi bouleversante et l’art du phrasé toujours aussi efficace – comme en témoigne son sublime « Poveri fiori » au IVe acte. Hélas, les médiums sont inaudibles et les nuances imperceptibles semblent osciller vaguement entre le piano et le pianissimo. Car si elle possède les caractéristiques physiques de son personnage, Angela Gheorghiu est une soprano lyrique, et non dramatique comme l’exige la partition. Et alors que les aigus sont irréprochables, le reste de l’ambitus manque cruellement de volume.

À ses côtés, l’imperturbable Marcelo Alvarez (Maurizio), ténor au  timbre radieux, pêche comme toujours un peu du côté de l’investissement scénique, mais laisse admiratif par son sens des nuances et sa projection puissante. Une puissance que l’on retrouve chez celle qui joue le rôle de son amante malheureuse : la mezzo-soprano à la voix sombre Luciana d’Intino est une Princesse de Bouillon aux graves nourris et à l’aisance remarquable dans les passages de registres.

Et les nombreux seconds rôles ne sont pas en reste avec en tête un Alessandro Corbelli admirable campant un Michonnet très touchant, tandis que Wojtek Smilek, Raúl Giménez, Alexandre Duhamel et Carlo Bosi viennent discrètement compléter ce plateau de belle tenue.

Passé l’enchantement visuel et la séduction de l’orchestre, intervient alors un compagnon inattendu : l’ennui, qui ne peut malheureusement s’empêcher de pointer le bout de son nez. Car en plus d’un livret très fluet, loin des élans belcantistes, la musique est belle mais tourne un peu en rond et la direction d’acteurs paresseuse autorise bien souvent le spectateur à décrocher. Un spectateur qui, las de tendre désespérément l’oreille pour percevoir la voix de la diva, restera en dehors de cette mise en abyme grandiose sans jamais s’y projeter.

Et l’on sortira de la représentation songeur, en pensant à la devise d’une autre grande personnalité du théâtre, Michel Bouquet : « N’oublie jamais que le public ne vient pas te regarder jouer, il vient jouer avec toi. »

Albina Belabiod

Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea, jusqu’au 15 juillet à l’Opéra de Paris
Crédit photo : Vincent Pontet

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