Tosca à Sunset Boulevard au Festival d'Aix-en-Provence 2019

Xl_tosca-festival-aix-en-provence-2019-angel-blue © DR

A quoi sert un festival ? A proposer des œuvres dans des mises en scène et distributions superlatives, comme un théâtre de répertoire ne pourrait en proposer – ou à se permettre avec des œuvres connues des audaces de présentation qu’un théâtre de répertoire (qui doit reprendre ses productions) ne pourrait se permettre ? Le Festival d’Aix a, pendant longtemps, choisit la première option ; depuis une vingtaine d’années, c’est plutôt la seconde qu’il privilégie.

A quoi sert une mise en scène ? A éclairer une œuvre surgie dans une époque pour la donner à voir et à entendre pour notre époque. Ce qui légitime l’utilisation de tout ce qui constitue aujourd’hui la matière et la sédimentation d’un spectacle, de la projection à la vidéo en direct en passant par l’utilisation anachronique de décors et costumes contemporains ou inscrits dans une temporalité différente de celle de sa création.


Tosca, Festival d'Aix-en-Provence 2019 (c) Jean-Louis Fernandez

C’est ce qui a donné l’idée à Pierre Audi, le nouveau directeur du Festival, de confier la réalisation de cette Tosca jamais jouée à Aix au cinéaste Christophe Honoré. Idée séduisante pour une œuvre créée en 1900, à l’orée du cinéma, dans ce mouvement de bascule qui allait induire un nouveau sens de l’image, de la représentation. De ce point de vue, l’idée initiale de Christophe Honoré pouvait paraitre séduisante, celle de situer cette Tosca dans l’esprit du fameux film de Billy Wilder, Sunset Boulevard, où la Gloria Swanson du film serait remplacée par Catherine Malfitano, une ancienne diva qui fut une grande Tosca.

Mais pour qu’elle soit efficace, il eut fallu qu’elle fut menée jusqu’au bout – et surtout ne soit pas brouillée par une seconde couche signifiante, celle de proposer une sorte de making off, c’est-à-dire un reportage documentaire sur les répétitions de Tosca dans le salon de l’ancienne diva, puis dans un lieu improbable et double où tout interfère. D’autant que ce curieux reportage est parasité par des séquences rêvées ou fantasmées (comme une pénible scène dans laquelle Catherine Malfitano accueille chez elle un gigolo !...), par des documents visuels projetés – au point que tout se mêle et qu’on y perd Tosca, le fil de Tosca. De ce point de vue, la mise en scène de Christophe Honoré est élististe (il faut connaitre sa Tosca sur le bout des doigts pour s’y retrouver) et anti-musicale (il y a tant à voir et à décrypter en permanence que la musique est reléguée au second plan, comme une sorte d’ « illustration sonore » d’un récit visuel multiple). Exercice de style brillant certes, mais exercice de style un peu vain !


Tosca - Festival d'Aix-en-Provence 2019 (c) Jean-Louis Fernandez

Tosca - Festival d'Aix-en-Provence 2019 
(c) Jean-Louis Fernandez

Et l’on s’interroge parfois sur cette volonté de surcharger par l’image le récit musical ! Ainsi, au moment du « grand air » de Tosca, le fameux « Vissi d’arte », pourquoi, alors que la jeune interprète chante son air, faire défiler derrière elle, de manière inutilement déplacée et cruelle, les images en play-back de ce même « Vissi d’arte » chanté par Callas, Kabaivanska, Tebaldi, Crespin ou autre… Malfitano ? Pourtant, cette jeune soprano américaine, Angel Blue, ne démérite pas et possède à la fois une voix riche et colorée ainsi qu’une ligne de chant très souple et expressive : pourquoi ne pas la laisser chanter ? Christophe Honoré aurait-il oublié que l’opéra c’est aussi du chant ? D’ailleurs l’ensemble de la distribution offre des plaisirs réels, du ténor maltais Joseph Calleja en Mario, dont on retrouve le timbre chaud et séduisant en dépit de quelques intonations fluctuantes et d’aigus un peu blanchis, au baryton russe Alexey Markov, projection franche et vive (même si la voix manque un peu de noirceur) et personnage bien dessiné au deuxième acte, alors qu’il semble bridé au premier – mais il est clair qu’il est difficile de montrer cette présence ardente qu’on attend du Te Deum quand celui-ci se déroule dans un salon où se déroule une répétition et que le chœur tourne le dos au public !!! Quant à Catherine Malfitano, qui fut grande, pourquoi avoir la cruauté de la faire encore chanter, pourquoi lui faire jouer avec cette hystérie qui ne lui ressemble pas et qui attriste…

Beaucoup était réuni pour une représentation musicalement satisfaisante, menée de surcroit avec une belle fougue par le jeune Daniele Rustioni à la tête de l’Orchestre et du Chœur de l’Opéra de Lyon. Mais la mise en scène de Christophe Honoré étouffe tout ! Autant il serait sans doute intéressant de lire un essai de sa part sur le thème du miroir à l’opéra (mais aussi au théâtre), entre la figure et son incarnation, autant sa mise en scène est ratée – son « aveu » en étant ce troisième acte en forme d’échec : après un premier acte où les chanteurs travaillent vocalement leur rôle dans le salon de l’ancienne diva, après un deuxième acte où ils s’exercent à en jouer le récit théâtral entremêlé à quelques fantasmes sur-signifiants, le troisième acte, qui devrait enfin nous donner à voir le résultat de ce que le making off nous a fait entrevoir… n’est qu’une version de concert, orchestre sur scène et chanteurs en smoking et robes de soirée !... Ce long reportage sur un opéra qu’on ne verra pas laisse frustré. Dommage !

Alain Duault
(
Aix-en-Provence)

A noter que la production est actuellement visible en replay jusqu'en octobre sur le site d'Arte Concert.

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