Mefistofele, un pari doublement tenu aux Chorégies d'Orange

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Pari gagné pour Jean-Louis Grinda : il n’était évidemment pas évident, après le long règne de Raymond Duffaut, de reprendre le flambeau des Chorégies d’Orange en renouvelant le répertoire tout en maintenant l’exigence de qualité musicale qui caractérise le festival. De ce point de vue, le choix d’ouvrir avec Mefistofele de Boito était une gageure : une œuvre à peu près inconnue d’un compositeur totalement inconnu (en France), c’était choisir la face Nord ! Pourtant, ces deux représentations, qui ont réuni chaque fois plus de 7 000 spectateurs, ont prouvé qu’on pouvait oser et que l’adéquation d’un grand spectacle avec ce grand lieu était le premier ingrédient de la réussite. Mais il n’était pas évident non plus de se jeter dans le brasier en assumant la mise en scène de ce Mefistofele : Jean-Louis Grinda a montré là encore qu’il savait assumer le risque en même temps qu’il savait comprendre et habiter l’espace hors norme du Théâtre antique. Sa mise en scène est une parfaite réussite pour ce lieu atypique : elle combine la dimension opéra avec la dimension oratorio, grâce à un astucieux dispositif de placement des chœurs, elle sait utiliser l’espace avec dynamisme et surtout, ce qui est indispensable pour faire découvrir une œuvre à un public qui ne la connait pas, elle sait en raconter l’histoire.

Mefistofele, Chorégies d'Orange 2018 (c) Philippe Gromelle

Mais un opéra, c’est et cela demeurera toujours d’abord de la musique. De ce point de vue, la réussite est tout aussi marquante, avec plusieurs atouts incontestables. On peut préférer un Mefistofele plus sombre, à la fois de couleur vocale et plus encore d’incarnation du personnage – Erwin Schrott faisant encore une fois du Erwin Schrott, c’est-à-dire se complaisant à ce numéro, au demeurant efficace, de gigolo mi amusé mi désabusé, qui virevolte avec désinvolture autour de Faust – mais on ne peut nier que la voix possède un impact quasi magnétique qui touche le public. Au contraire, le ténor Jean-François Borras est, lui, tout de distinction, de beauté vocale, de projection, de présence : sans doute encore un peu placide dans son jeu, il fascine tellement vocalement qu’on est happé par son chant. Quant à Béatrice Uria Monzon, on est sidéré par la palette des qualités de sa double incarnation de Marguerite et d’Hélène (comme l’ont osé avant elle quelques divas, de Renata Tebaldi à Eva Marton). Un peu retenue à son entrée au début du deuxième acte (mais son placement sur ce passage autour de l’orchestre ne l’aide pas, tout comme pour ses camarades, à bien déployer sa voix), elle exalte ensuite toute la matière de cette voix pleine, superbement sonore, et elle bouleverse au troisième acte dans son air, « L’altra notte in fondo al mare », où tout son art de coloriste, la richesse de projection d’aigus charnus et l’intensité de son expression dramatique emportent le public. Le duo avec Faust comme le quatrième acte dans lequel elle excelle, en une Hélène de grande classe, ne font que confirmer cet engagement exceptionnel d’une femme qui sait aller jusqu’au bout d’elle-même et qui donne tout sur chaque note, chaque inflexion : une grande artiste ! Et les seconds rôles ne sont pas sacrifiés, de l’impayable Marthe de Marie-Ange Todorovitch à la Pantalis au timbre ambré et attachant de Valentine Lemercier. Mais tout cela est dynamisé, projeté, déployé par la direction superlative de Nathalie Stutzmann, à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Radio France des grands soirs, et des chœurs réunis des Opéras d’Avignon, Nice et Monte Carlo. Sachant varier les registres, exalter les couleurs, respirer avec chanteurs et chœurs mais aussi utiliser une palette de nuances sans cesse retissées, elle donne à entendre la continuité d’une œuvre pourtant souvent morcelée et libère une agogique permanente qui donne vie à la partition : du grand art ! Paris réussis pour toutes et tous donc.

Alain Duault
(Orange, 8 juillet 2018)

Crédit photographie : Philippe Gromelle

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