Capriccio, un plaisir raffiné et complet

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Quelle heureuse idée de Stéphane Lissner que de reprendre pour sa première saison ce qui fut la dernière (et forcément mélancolique) production d’Hugues Gall il y a un peu plus de 10 ans, quand il tirait sa révérence à l’Opéra de Paris : il y a là un hommage implicite et le signe d’une volonté de continuité dans l’excellence. Car l’excellence elle est là, dans la prodigieuse mise en scène de Robert Carsen, peut-être une de ses plus achevée : dans ce décor qui est une élégante mise en abyme de l’Opéra Garnier, le metteur en scène canadien réussit à lever des miroirs multiples qui non seulement réfléchissent mais font réfléchir sur cet art particulier qu’est l’opéra, lui-même miroir et mise en abyme du réel. Et l’on demeure fasciné de voir se mettre en place les mystères de la création en même temps que cette création se fait miroir d’elle-même. C’est-à-dire que ce subtil hommage au théâtre lyrique en train de se faire parvient à devenir une comédie lyrique discrètement mélancolique qui nous renvoie à l’éternité de la question présidant à toute création : pourquoi faire naitre une représentation du réel quand le réel est lui-même si présent ? La virtuosité de la « conversation en musique » de Richard Strauss (co-auteur lui-même du livret avec le chef d’orchestre Clemens Krauss, qui en dirigera la création à Munich en 1942) trouve son écho dans la virtuosité de la mise en scène de Robert Carsen : les situations y sont en effet en permanence jouées et distanciées, inscrites dans un déroulé apparemment réaliste et en même temps déjà projetées dans un récit fictionnel, avec des spectateurs qui sont aussi bien tel ou tel personnage, la Comtesse, Flamand, etc, que nous-mêmes. Tout cela dans un tourbillon éblouissant qui ne laisse pas un instant de répit et remplit d’un plaisir aussi électrisant et léger en même temps que d’une impression d’intelligence contagieuse. Bref, un pur bonheur !



Pour cette reprise, l’Opéra de Paris propose une distribution tout à fait convaincante, bien équilibrée, avec des caractéristiques de couleurs intelligemment réparties et fonctionnant parfaitement avec le ballet visuel imaginé par Robert Carsen. On saluera d’abord la Comtesse de la soprano américaine Emily Magee, voix droite, bien timbrée, qui sait subtilement faire entendre les affres de Madeleine – sans cependant retrouver le frémissement inouï que savait distiller Renée Fleming à la création de ce spectacle… Le couple des deux chanteurs italiens (qui, et ce n’est bien sûr pas un hasard, évoque irrésistiblement le couple Annina et Valzacchi du Chevalier à la Rose) est savoureusement interprété par Chiara Skerath et Juan José De Leon et chaque personnalité vocale est d’ailleurs parfaitement dessinée dans cette distribution importante, de l’excellent comte de Wolfgang Koch à l’étonnant Monsieur Taupe du vétéran Graham Clark : on peut saluer là l’efficacité du travail d’Ilias Tzempetonidis, le Directeur de casting engagé par Stéphane Lissner pour le seconder, comme il le faisait déjà à la Scala de Milan.
Mais pour le public parisien, la révélation vocale de ce spectacle est celle du jeune ténor français Benjamin Bernheim dans le rôle de Flamand, en quelque sorte le double que Richard Strauss lui-même s’est écrit : non seulement la prestance en scène est impeccable mais surtout la voix est déjà à un niveau de maturité qui laisse augurer beaucoup. Un timbre d’emblée séduisant, à la chaleur très affirmée dans le médium, une assise vocale saine, une projection riche sans jamais rien forcer, une palette de nuances qui dénote déjà un métier certain : on réentendra sans doute très vite Benjamin Bernheim*. S’il faut un bémol, on l’attribuera à la direction d’Ingo Metzmacher, qui se contente de dérouler la partition sans jamais s’y investir, sans faire entendre un parti pris personnel, une direction de Kapellmeister sans génie, qui fait le job mais sans plus. Et l’on se dit qu’un tel spectacle méritait sans doute mieux. On ajoutera une mention spéciale à la jolie prestation de Camille de Bellefon, quadrille du Ballet de l’Opéra de Paris, qui compose avec beaucoup de fraicheur son numéro de jeune danseuse dans la grande scène centrale, l’ « Azione teatrale » montée par l’étourdissant La Roche, le directeur de théâtre. On comprendra donc que cette belle reprise réussie ait été si formidablement acclamée à l’issue de la première, ce qui n’est pas très fréquent pour un opéra dont la séduction demeure plus intellectuelle que physique – mais qui, là, par une sorte de magie, a su tout emporter !

Alain Duault

* Il sera à l’affiche du prochain Festival de Pâques de Salzbourg, en Cassio de l’Otello de Verdi

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