Rencontre avec Patrizia Ciofi, Ophélie à l'Opéra Grand Avignon

Xl_ciofi © DR

Après sa Luisa Miller à l'Opéra Royal de Wallonie à l'automne dernier, sa Donna Anna à celui de Monte-Carlo en mars, nous retrouvons Patrizia Ciofi à l'Opéra Grand Avignon, cette fois dans le rôle d'Ophélie dans le rare Hamlet d'Ambroise Thomas - où elle vient de briller ! Gros plan sur une artiste en pleine réflexion.

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Opera-Online : Au vu de vos interprétations si intenses, Patrizia Ciofi, vous considérez-vous en définitive comme une cantatrice ou une actrice qui chante ?

Patrizia Ciofi : Je pense être et avoir toujours été une actrice qui chante. Bien évidement, il faut posséder la technique vocale, connaître les règles stylistiques du chant, avoir les notes, etc, mais personnellement j'ai toujours beaucoup de mal à chanter sans la scène, sans incarner un personnage qui a quelque chose à dire, avec toute une psychologie derrière. Chanter en récital, c'est comme être « nue » devant le public, on ne peut pas se cacher derrière son personnage, on n'est pas protégée par ses collègues et une mise en scène, et puis il faut passer en quelques secondes d'une héroïne à une autre ; c'est très difficile et même ingrat comme exercice en définitive.

Vous considérez-vous toujours comme une soprano lyrique colorature ? Quelle est votre identité vocale à l'heure actuelle ?

Je ne sais pas exactement quelle est vraiment cette identité aujourd'hui. Je connais actuellement un moment de transition assez compliqué. En fait, je traverse une période de « schizophrénie » entre mon corps, ma voix, et l'idée que j'ai de moi. Je continue à me voir encore comme un soprano legero qui a beaucoup de facilité dans l'aigu, mais dans la réalité, cette aisance dans le registre aigu n'est plus tout à fait la même que par le passé. En fait, la tessiture où je suis la plus à l'aise maintenant, c'est dans le medium, c'est à dire un registre de soprano lyrique plus que colorature. Je dois donc faire face au défi d'accorder cette évolution de ma voix à mon répertoire.

En mars dernier, vous interprétiez le rôle de Donna Anna dans Don Giovanni à l'Opéra de Monte-Carlo.  Considérez-vous - comme Pierre-Jean Jouve – que le personnage « brûle d'un amour dont elle ne peut dire le nom » ?

Oui, Donna Anna est un des personnages les plus complexes du répertoire, une héroïne viscéralement tiraillée. Je la connais depuis 25 ans maintenant - puisque j'ai fait mes débuts avec elle – et je l'ai toujours considérée comme une femme partagée entre l'amour filial et celui qui brûle - la passion - sentiment qu'elle éprouve pour Don Giovanni. On imagine qu'elle est violée au début de l'histoire, mais ça ne semble pas être le cas puisqu'elle court après cet homme, qu'elle ne connaît pas, qui veut s'échapper, mais qu'elle veut absolument retenir... Donna Anna découvre avec Don Giovanni le goût du risque et de l'interdit, le plaisir physique aussi, et malgré le meurtre du père, elle veut toujours revenir vers lui. Je crois qu'elle éprouve également de l'amour pour Don Ottavio, mais à un niveau plutôt mental. Il lui offre la sérénité, quand Don Giovanni lui offre la passion...

Vous reprenez actuellement, à l'Opéra Grand Avignon, le rôle d'Ophélie dans Hamlet d'Ambroise Thomas, dans la production de Vincent Boussard, créée à l'Opéra de Marseille en juin 2010. Voyez-vous une similitude vocale entre cette héroïne et Lucia di Lammermoor, celle de Donizetti ?

C'est un répertoire qui comporte des similitudes vocales en effet, et exige les mêmes moyens vocaux. Mais Hamlet est quand même bien différent de Lucia, c'est un opéra français, donc on a affaire ici à une musique plus éthérée et légère. Dans Lucia, il y a un dramatisme plus prégnant que dans Hamlet. La scène de la folie que chante Ophélie est tellement délicate et poétique, une délicatesse que je ne retrouve pas dans l'ouvrage de Donizetti, qui est un opéra morbide, un opéra du sang et de la terre. Ophélie, au contraire, son véritable élément, c'est l'eau, quelque chose qui coule sans cesse, cela s'entend tellement dans sa vocalité...

Dinorah à Berlin en début de saison, Manon de Massenet à Marseille à l'automne prochain, Hamlet aujourd'hui à Avignon... Avez-vous un goût particulier pour l’opéra français ?

Peut-être faut-il inverser la question et que ce sont plutôt les directeurs d'opéras qui ont envie de m'entendre dans ce répertoire ! (rires). Mais c'est vrai que c'est un répertoire qui convient bien à ma voix, et j'espère pouvoir continuer à le fréquenter, malgré les changements qui interviennent dans ma voix, comme je l'évoquais tout à l'heure. Je m'y sens bien, j'aime la délicatesse et la sensualité de la musique française, par ailleurs si gorgée de nuances et couleurs. C'est exactement cela qui m'intéresse : faire passer dans mon chant le maximum d'expressivité et d'émotion.

En juin, vous serez sera Alice Ford du Falstaff de Verdi à l'Opéra de Marseille. Ne trouvez-vous pas que, dans leur acharnement à brimer leur victime, les commères se rendent un rien odieuses ?

Elles sont totalement odieuses ! (rires). Comme le sont souvent, je crois, les femmes envers les hommes, qui sont - en général - beaucoup plus simples et directs que les femmes. Mais dans Falstaff, qui est un authentique chef d'œuvre, il faut le prendre comme un jeu. Je ne crois pas que j'arriverai à me rendre odieuse avec Falstaff, je vais plutôt lui adresser avec un regard empli de tendresse, le même que Verdi pour tout dire. Il est tellement émouvant cet homme qui essaie de retrouver un peu de jeunesse dans sa vie, dans son corps, dans sa façon d'être avec les femmes. Verdi a sûrement mis beaucoup de lui-même dans le personnage de Falstaff.

Même si votre répertoire comprends surtout des rôles tragiques, vous chantez aussi des rôles comiques. Avez-vous une préférence ?

Je crois qu'il est important d'alterner en effet, et puis comédie et tragédie ne sont jamais que les deux faces d'une même pièce...même s'il est beaucoup plus difficile de faire rire que de faire pleurer ! Chacun a ses propres blessures dans lesquelles, nous autres chanteurs, nous pouvons aller puiser. Parvenir à déclencher le rire chez le spectateur est autrement ardu, et c'est un défi théâtral qu'il me plaît de relever.

Pour terminer, pouvez-vous nous citer un très bon souvenir personnel de production d'opéra ?

Il y en a beaucoup, mais si je devais n'en citer qu'un, cela serait ma dernière Lucia à l'Opéra Bastille, en 2013. Lucia est un personnage qui m'a toujours menée au bout de mes limites, vocales d'une part, mais aussi psychologiques. Je suis arrivée très stressée à Paris, car j'avais abandonné le rôle depuis plus de 6 ans : il me coûtait trop cher... Y revenir a constitué un grand retour pour moi, dans un grand théâtre qui plus est, et donc autant de tensions et d'appréhensions. Mais je dois dire que le public, le soir de la première, a été extraordinaire, il m'a montré un incroyable amour et j'ai éclaté en sanglots à la fin de la représentation. J'ai pensé, à ce moment précis, que ma carrière – et même ma vie – pouvait s'arrêter là...

Propos recueillis à Avignon par Emmanuel Andrieu

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