
Le Royal Ballet and Opera de Londres devait exporter sa production de Tosca à l’Opéra de Tel Aviv. Le projet est annulé : Alex Beard l’explique par la volonté d’assurer la sécurité de ses équipes, elles lui adressent une lettre ouverte l’incitant à prendre ouvertement position sur le conflit à Gaza.
En juillet 2026, l’Opéra de Tel Aviv en Israël aurait dû accueillir la production de Tosca du Royal Ballet and Opera de Londres mise en scène par Oliver Mears. L’opéra de Puccini sera bien donné à Tel Aviv en fin de saison prochaine, mais pas dans la production londonienne. Alex Beard, directeur général du RBO, confirme au Guardian que l’institution de Covent Garden ne distribuera pas sa production en Israël. Dans les colonnes du journal britannique, le directeur se dit « consterné par la crise à Gaza » et indique reconnaitre « le profond impact émotionnel qu'elle a eu sur notre communauté et la société en général ». Alex Beard confirme par ailleurs sa décision à Radio France et précise que la « décision a été prise à la lumière de la détérioration de la crise humanitaire dans la région et des risques qui en découlent pour la sécurité des membres de (la) compagnie » londonienne.
Il faut dire qu’en juin et juillet derniers, le Royal Ballet and Opera de Londres exportait déjà sa production de Turandot à l’Opéra de Tel-Aviv et les préparatifs étaient en cours quand le conflit entre Israël et l’Iran a éclaté. Les répétitions se sont donc déroulées dans des abris antiaériens et selon le Guardian, « au moins un artiste a décidé de quitter la production » du fait de cette expérience et a ensuite dû faire l’objet d’un suivi psychologique.
Un drapeau palestinien déployé lors du saluts du Trouvère au RBO
La décision d’Alex Beard s’inscrit néanmoins aussi dans un contexte politique plus complexe. Le 19 juillet dernier, Daniel Perry, un artiste engagé sur Le Trouvère du Royal Ballet and Opera déployait un drapeau palestinien lors des saluts. L’artiste indique au Telegraph avoir voulu « attirer l’attention sur les atrocités commises contre le peuple palestinien par les forces de défense israéliennes actuellement à Gaza », estimant que le public de l’opéra est « celui qui a le pouvoir et l’influence nécessaires pour pouvoir aider » les civils touchés par le conflit entre Israël et le Hamas.
L’initiative serait sans doute passée relativement inaperçue si Oliver Mears n’avait pas tenté de lui arracher le drapeau depuis les coulisses – et selon l’artiste, le metteur en scène lui aurait ensuite assuré qu’il ne travaillait plus jamais pour le RBO. Une altercation relayée sur les réseaux sociaux, puis reprise dans la presse, poussant finalement plus de 180 membres du Royal Ballet and Opera (des danseurs, chanteurs, musiciens et des membres du personnel des départements artistique, créatif, technique et administratif de l’institution) à adresser une lettre ouverte à leur direction.
« Se réfugier maintenant derrière un faux voile de neutralité est à la fois hypocrite et lâche »
Les membres du RBO s’émeuvent de la différence de traitement opérée par l’institution londonienne, entre la guerre en Ukraine d’une part, pour laquelle le RBO s’est mobilisé, et d’autre part le conflit à Gaza, passé sous silence. Ils écrivent : « ces derniers mois, le monde a été témoin de la destruction systématique des vies, des infrastructures et du patrimoine culturel palestiniens. Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées, des millions ont été déplacées et des infrastructures essentielles ont été délibérément ciblées, en violation flagrante du droit international. (...) C'est dans ce climat que notre institution a choisi de soutenir activement l'État israélien et son économie en exportant notre production de Turandot à l'Opéra de Tel Aviv ». La lettre souligne par ailleurs que l’Opéra de Tel Aviv offre des billets gratuits aux soldats israéliens « en reconnaissance de leur action » dans le conflit actuel. Le texte poursuit : « Cette décision ne peut être considérée comme neutre. (…) Le Royal Ballet and Opera fait clairement une déclaration politique forte en permettant que sa production et sa propriété intellectuelle soient présentées dans un espace qui récompense et légitime ouvertement les forces mêmes responsables des massacres quotidiens de civils à Gaza ».
Les signataires de la lettre expriment ensuite leur soutien à l’acte de Daniel Perry (un « geste de solidarité, un appel à la conscience ») et se désolidarisent au contraire de l’action d’Oliver Mears visant à « tenter d'arracher de force le drapeau, affichant une colère et une agressivité visibles devant tout le public ».
« Cet acte (d’Oliver Mears) était en soi une déclaration politique forte. Il envoyait un message clair : toute solidarité visible avec la Palestine serait accueillie avec hostilité, tandis que l'organisation resterait silencieuse sur le génocide en cours ». Ils poursuivent : « L'opéra et le ballet ne sont pas des formes d'art apolitiques. Ces œuvres sont remplis d'histoires de résilience humaine, de résistance à l'oppression et de triomphe de la justice sur la tyrannie. Se réfugier maintenant derrière un faux voile de neutralité est à la fois hypocrite et lâche ».
D’autant que le RBO s’est mobilisé en faveur de l’Ukraine, notamment en organisant des concerts ou en jouant l’hymne ukrainien avant certaines de ses représentations. Les signataires de la lettre interrogent : « Pourquoi est-ce différent aujourd'hui ? Pourquoi la souffrance palestinienne est-elle accueillie par le silence, tandis que la souffrance ukrainienne est accueillie par des actes ? Le deux poids, deux mesures est saisissant. »
Les signataires affichent finalement leurs revendications, parmi lesquelles le fait qu’Oliver Mears soit tenu responsable de « sa démonstration publique d'agression » envers Daniel Perry ou que le RBO « reconnaisse publiquement le génocide à Gaza ». Les signataires revedniquent aussi le refus de donner des « représentation (...) en Israël » et de distribuer les productions du RBO « aux institutions qui légitiment et soutiennent économiquement un État engagé dans le massacre de civils ».
Selon Alex Beard, sa décision de ne pas exporter Tosca à l’Opéra de Tel Aviv n’est pas liée à la lettre des membres du RBO – sa décision aurait été prise avant sa publication. À cette heure, l’Opéra de Tel Aviv annonce toujours une série de représentations de Tosca en juillet de l’année prochaine, mais sans préciser ni la production, ni le metteur en scène, comme pour une version de concert.
publié le 6 août 2025 à 08h15 par Aurelien Pfeffer
06 août 2025 | Imprimer
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