Madama Butterfly à la Royal Opera House de Londres

Xl_xl_madama-butterfly © DR

Situé au cœur du Japon, la Madama Butterfly de Puccini (que nous étudions plus largement dans nos colonnes), en 1904, explore les relations qui unissent Pinkerton, officier de la marine américaine, et la belle Cio-Cio-San, originaire de Nagasaki et qu’il baptise à la fois affectueusement et avec une forme de condescendance Madame Butterfly (madame Papillon). Un amour qu’elle croit si sérieux et si profond qu’elle se convertit au christianisme, et en accepte toutes les conséquences : elle sera rejetée par sa famille. De son côté, l’officier américain considère son mariage tout comme il appréhende le bail de sa demeure japonaise, d’une durée de 999 ans mais qu’il peut résilier à tout moment. Lorsqu’il quitte le Japon pour les Etats-Unis, et ne revient que pour emmener le fils qu’elle a eu de lui afin qu’il intègre sa nouvelle famille, tous les ingrédients de la tragédie sont réunis.

La production signée par Moshe Leiser et Patrice Caurier pour la Royal Opera House, vue pour la première fois en 2003 et remise au goût du jour ici par Justin Way, s’appuie sur un vaste décor « minimaliste » exploité de bien des façons différentes au cours de la soirée. Bien que tout le spectacle se déroule dans le même décor, la gestion des lumières et la profusion de détails le font évoluer constamment. La scène est ainsi articulée autour d’une plateforme symbolisant la demeure de Pinkerton et Cio-Cio-San, liée ici et là par des planches aux allures de ponts japonais. Et bien qu’ils soient techniquement situés au cœur de la bâtisse, ils évoquent efficacement les pontons et cours d’eau si courants dans l’imaginaire japonais.

Les fenêtres de papier habillent trois pans de la scène, et s’ouvrent ponctuellement pour dévoiler un fond de scène évoquant différentes représentations du pays. On peut tantôt distinguer une représentation réaliste du port de Nagasaki, tantôt une image idéalisée du Japon, avec ses collines et ses cerisiers en fleur. Ainsi, quand lors du mariage, l’oncle de Cio-Cio-San dénonce la trahison de sa nièce à l’égard de ses ancêtres, il émerge précisément de ce décor japonais très traditionnel – une entrée qui donne presque le sentiment de le voir émerger en personne du monde des esprits qui portent les traditions ancestrales du Japon.

Cette façon de définir les personnages se fait ici bien plus subtile et ambiguë que dans nombre d’autres productions. Après tout ce dont il est responsable, Pinkerton ne peut plus apparaitre comme un personnage sympathique, mais il n’est pas pour autant dépeint comme un affreux pantomime – notamment parce qu’il n’est pas défini par ses seules fautes, trop grandes pour lui, mais surtout parce que nous sommes amenés à mieux appréhender ses propres faiblesses, qui le conduisent à échouer à faire ce qu’il sait être juste.

Les interactions entre les personnages sont toutes aussi fortes, dont on trouve la parfaite illustration dans la scène final de l’Acte I, dans laquelle Pinkerton et Cio-Cio-San préparent leur nuit de noce. Elle s’articule autour de l’idée que si Pinkerton envisage peu une longue vie stable avec Butterfly, sa tendance à vivre l’instant présent l’encourage à éprouver des sentiments forts à l’égard de son aimée. Pour autant, il est tout aussi notable que l’un et l’autre ne passent pas la scène à se regarder les yeux dans les yeux, pour plutôt fixer régulièrement le ciel tout en s’enlaçant. Un choix de mise en scène qui souligne que les deux protagonistes ne sont pas seulement amoureux l’un de l’autre (à des degrés divers), mais aussi dans une forme d’idéalisation d’une vie parfaite.

Musicalement, la soirée tient toutes ses promesses. Sous la baguette du chef Nicola Luisotti, l’énergique partition de Puccini se fait chaude et limpide. Pour autant, il est frappant de noter à quel point il peut parfois presque déstabiliser l’auditeur. Et c’est sans doute l’ingrédient supplémentaire nécessaire permettant de nous faire ressentir concrètement toute l’horreur de la situation, et cette approche requiert à l’évidence un contrôle exceptionnel pour générer ce sentiment de déstabilisation.

Plus frappant encore, néanmoins, est la qualité des voix réunies sur scène. Enkelejda Shkosa, dans le rôle de Suzuki, la servante de Cio-Cio-San ; Yuriy Yurchuk dans celui du Prince Yamadori et Anush Hovhannisyan prêtant ses traits à Kate Pinkerton ne sont que quelques-unes des interprétations offrant ce soir d’excellentes performances dans les rôles secondaires, tandis que Kristine Opolais se distingue dans le rôle de Cio-Cio-San. Son soprano envoûte à la fois par sa plénitude et sa légèreté, offrant une interprétation résolument spirituelle. La sensibilité de sa performance est tout autant portée par une excellente précision et une attention toute particulière au phrasé.

Brian Jagde dans le rôle de Pinkerton offre quant à lui une prestation incroyablement large qui résonne admirablement dans la salle, son tenor est si doux, rond et précis qu’il ne parait jamais rugueux à l’oreille. Il parait surtout en parfaite adéquation avec le baryton de Gabriele Viviani (Sharpless), le consul américain régulièrement contraint de couvrir Pinkerton, dont l’énonciation apparait toujours riche, forte et puissante. Ponctuellement, quand le duo chante de concert, le son peut néanmoins paraitre un tantinet impérieux voire implacable, mais avec des voix aussi impressionnantes, qui oserait seulement leur demander de baisser de volume ?

Traduction libre de la chronique de Sam Smith

Madama Butterfly | du 20 mars au 11 avril 2015 | Royal Opera House, Covent Garden

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